<188> les sentiments les plus vrais d'estime et de tendresse, ma très-chère sœur, etc.

195. A LA MÊME.

Potsdam, 26 octobre 1747.



Ma très-chère sœur,

Je suis bien fâché de vous savoir si souvent incommodée; je crois, ma chère sœur, que vous vous fatiguez trop. Vous me dites des choses si obligeantes, que vous me réduisez au silence. Je pense tout ce que je dois sur votre sujet; mais comme la matière est au-dessus des expressions, mon cœur, tout plein de choses, trouve une langue muette pour les exprimer.

Je plains le pauvre du Châtelet; je crains fort que le général de Borcke ne prenne une fin pareille. C'est peu de chose que l'homme; je ne sais comment la vanité lui peut faire illusion, et je ne comprends pas comme il peut présumer si bien de son être, et sur quoi il fonde ses chimériques prétentions sur l'avenir. L'histoire de l'humanité est un tissu de biens et de maux; exposés à des milliers de maladies, à un nombre innombrable d'accidents et de malheurs qui nous menacent, il est encore surprenant que nous en soyons quittes à si bon compte. Mais un moment de plaisir, une vapeur de gaîté nous sert à passer l'éponge sur le mal qui nous est arrivé; notre inconstance et notre légèreté font notre bonheur. Nous sommes des créatures telles qu'il a plu à l'auteur de la nature de nous former. La politique de notre bonheur demande que nous soyons contents de notre état, et que nous jouissions du présent sans trop creuser