<191> monde lorsqu'on y reste le dernier de son siècle; on ne contracte guère de nouvelles liaisons, et la mort tranche les anciennes; c'est pourquoi c'est prudence de quitter le monde avant qu'il nous quitte. L'espèce humaine s'ennuie trop aisément de la même physionomie; le désir de la nouveauté l'entraîne toujours vers de nouveaux objets; il est bon de prévenir le public, et de ne lui pas donner le temps de s'ennuyer. Ma morale ne plaira pas aux gens en place; mais j'y suis moi-même, et, de plus, tout résigné à ce qui arrivera de moi. Divertissez-vous, en attendant, ma chère sœur; quand nous serons morts, personne ne nous saura gré de notre abstinence et de notre ennui. Nous sommes maîtres du moment présent; peut-être ne le serons-nous pas du lendemain. Cueillons les fleurs qui naissent sous nos pas, et ne nous embarrassons point du chemin que nous avons à faire. Je suis avec tendresse et estime, ma très-chère sœur, etc.

198. A LA MÊME.

Berlin, 15 décembre 1747.



Ma très-chère sœur,

Lorsque j'apprends des nouvelles de votre bonne santé, je vous en passe bien d'autres; qu'on devienne fou à Baireuth, qu'on égratigne, qu'on boude, qu'on se noie ou se pende, peu m'importe, pourvu que vous vous portiez bien, et l'on enchaînera madame Meyer sans que cela m'altère. Ici, un bon et gros bourgeois s'est pendu de regret d'avoir perdu sa très-chère épouse. Ce bonhomme a donné une épreuve de quelle force l'amour conjugal est dans ce pays. C'est, en vérité, l'honneur de tous les maris, et je ne doute point qu'on ne le