<203>sions ne sont-elles pas les mêmes? L'amour, la jalousie, la colère, la gourmandise, sont nos tyrans comme les leurs, et s'il y a quelque différence entre nous, la voici : c'est que nous possédons moins de vices et beaucoup plus de vertus. Les hommes sont légers, inconstants, intéressés, ambitieux; ces défauts nous sont inconnus. En revanche, nous faisons profession de fidélité, de constance, d'attachement et de reconnaissance, qualités presque bannies de leur société. Peut-on trouver un ami plus fidèle que chez nous? Notre amitié pour nos maîtres est invariable, et reste stable dans leur grandeur comme dans leur abaissement. Les hommes donc, au lieu de nous mépriser, devraient nous prendre pour modèles.a

Pardonnez cette longue discussion; c'est un préambule qui me mène à un sujet plus intéressant. C'est vous, adorable Biche, qui m'avez porté à faire toutes ces réflexions; l'amour que je ressens pour vous en est le principe. Oui, trop aimable chienne, je vous aime et vous adore. Votre esprit, vos grâces, mille qualités qui brillent en vous, m'ont subjugué. Hélas! je ne puis penser sans fondre en larmes aux charmants petits coups de patte que vous me donnâtes lorsque je pris ce fatal congé de vous. Bien plus sincère que les conquêtes de la gent soi-disant raisonnable, vous me marquiez vos véritables sentiments, et vous me disiez : Je vous aime, mon cher Folichon. Aussi, depuis notre séparation, je n'ai fait que languir. Maigre et décharné, j'ai passé mon temps mélancoliquement aux pieds de ma maîtresse. Je l'entendais déplorer la cruauté de son absence d'avec un frère chéri, et sans cesse parler de l'heureux temps qu'elle avait passé avec lui à Berlin, sans pouvoir me mêler de ses conversations. Inquiète de ma tristesse, et pour rappeler ma bonne humeur, elle me fit un sérail des plus belles chiennes de ces cantons, mais en vain; je les dédaignais toutes. Enfin, elle voulut dissiper ma tristesse par l'appât des richesses. Croiriez-vous bien, adorable Biche, que l'inté-


a Voyez les Mémoires de la Margrave, t. II, p. 243.