<343> vingt-cinq mille à quatre-vingt mille. Les Autrichiens sont marchés en Silésie, où le prince de Bevern les suit. J'ai avancé de ce côté-ci, pour tomber sur le corps de cette armée alliée, qui s'est enfuie, et s'est retranchée, derrière Eisenach, dans des montagnes où toutes les règles de la guerre m'empêchent de les suivre, encore plus de les attaquer. Dès que je me retirerai en Saxe, tout cet essaim me suivra. Je suis fermement résolu de tomber sur le corps de celui de tous les généraux ennemis qui m'approchera de plus près, au hasard de tout ce qui peut en arriver. Je bénirai encore le ciel de sa clémence, s'il m'accorde la faveur de périr l'épée à la main. Si cet espoir me manque, vous m'avouerez qu'il serait trop dur de ramper aux pieds d'un assemblage de traîtres dont les crimes heureux leur procurent l'avantage de pouvoir me donner la loi. Comment, ma chère, mon incomparable sœur, comment pourrais-je réprimer les sentiments de vengeance et de ressentiment contre tous mes voisins, dont il n'y en a pas un qui n'ait accéléré ma chute et ne partage nos dépouilles? Comment un prince peut-il survivre à son État, à la gloire de sa nation, à sa propre réputation? Qu'un électeur de Bavière dans l'enfance ou plutôt dans une espèce de sujétion de ses ministres, et stupide à la voix de l'honneur, se livre en esclave à l'impérieuse domination de la maison d'Autriche, et baise la main qui opprima son père, je le pardonne à sa jeunesse et à son ineptie; mais sera-ce là l'exemple que je devrai suivre? Non, ma chère sœur, vous pensez trop noblement pour me donner d'aussi lâches conseils. La liberté, cette prérogative si précieuse, sera-t-elle moins chère, dans le dix-huitième siècle, à des souverains qu'elle le fut aux patriciens de Rome? Et où est-il dit que Brutus et Caton pousseraient la générosité plus loin que des princes et des rois? La fermeté consiste à s'opposer au malheur; mais il n'y a que des lâches qui fléchissent sous le joug, qui portent patiemment leurs chaînes, et supportent tranquillement l'oppression. Jamais, ma chère sœur, je ne pourrai me résoudre à