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6. A LA MÊME.

Lockwitz, 25 mars 1757.



Ma très-chère sœur,

Je vous rends mille grâces des notices que vous m'avez procurées de la maladie de notre chère mère par Eller.a Cela m'a beaucoup tranquillisé, et me rassure contre un malheur que j'aurais regardé comme très-grand pour moi.

Pour ce qui nous regarde, ma chère sœur, ainsi que notre situation politique et militaire, il n'y a rien de changé jusqu'au moment présent; tout est de même, à l'exception que nous sommes entrés en quartiers de cantonnement, et que l'ennemi commence aussi à s'assembler et se fortifier. Mettez-vous, je vous en conjure, au-dessus de tous les événements; pensez à la patrie, et souvenez-vous que notre premier devoir est de la défendre. Si vous apprenez qu'il arrive malheur à quelqu'un de nous autres, demandez s'il est mort en combattant, et si cela est, rendez grâce à Dieu. Il n'y a que la mort ou la victoire pour nous; il faut ou l'un, ou l'autre. Tout le monde pense ici comme cela. Quoi! vous voudriez que tout le monde sacrifiât sa vie pour l'Etat, et vous ne voudriez pas que vos frères en donnassent l'exemple! Ah! ma chère sœur, dans ce moment-ci, il n'y a rien à ménager. Ou au comble de la gloire, ou détruits. Cette campagne prochaine est comme celle de Pharsale pour les Romains, ou comme celle de Leuctres pour les Grecs, ou comme celle de Denain pour les Français, ou comme le siége de Vienne pour les Autrichiens. Ce sont des époques qui décident de tout, et qui changent la face de l'Europe. Avant leur décision, il y a un affreux hasard à courir; mais après leur dénoûment, le ciel s'éclaircit et devient serein. Voilà notre situation. Il ne faut désespérer de rien, mais prévoir


a Voyez ci-dessus, p. 375.