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III. CORRESPONDANCE DE FRÉDÉRIC AVEC SA SOEUR CHARLOTTE, DUCHESSE DE BRUNSWIC. (18 JANVIER 1733 - 10 AOUT 1786.)[Titelblatt]

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1. DE LA PRINCESSE CHARLOTTE.

Berlin, 18 janvier 1733.



Mon très-cher frère,

Je ne puis vous marquer assez, mon très-cher frère, quelle joie m'a causée votre lettre, estimant et chérissant tout ce qui me vient de votre part. Le Roi est parti ce matin pour Potsdam, d'assez bonne humeur. Le duc de Bevern et le prince Charles seront à Potsdam le 28 de ce mois. Je crois que nous y irons bientôt. A ce qu'il me paraît, ma sœur de Baireuth commence un peu à engraisser et à manger de meilleur appétit. Maman a été dernièrement dans votre maison;1_381-a elle m'a fait l'honneur de me prendre avec elle. Elle a ordonné elle-même les meubles, et a tâché d'accommoder tout le mieux qu'il a été possible, et s'est donné infiniment de peine. A ce qu'il me semble, les chambres sont trop petites et fort étroites, et, pour les meubles, on aurait pu avoir quelque chose de plus beau pour tout l'argent qui y est employé. Ce que je puis vous dire, c'est que le Roi ne pense depuis le matin jusqu'au soir qu'à ce qui vous peut faire plaisir, et il a dit que tout ce qu'il pourrait voir à vos yeux qui vous réjouit et la princesse, il le ferait bien volontiers. Voilà pour cette fois, mon cher frère, tout ce que j'ai pu vous mander de nouveau. Ma pauvre sœur d'Ansbach a été à l'extrémité, que toute la Faculté a cru qu'elle mourrait; mais, Dieu merci, on a reçu des nouvelles qu'elle est hors de danger. Comme je me flatte d'avoir bientôt le<382> plaisir de vous revoir, je finis en vous priant de me croire toute à vous.

Votre très-affectionnée
sœur et servante,
Charlotte.

2. DE LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Berlin, 15 juillet 1733.



Mon très-cher frère,

Permettez-moi que je vous assure encore ici de mon amitié; quoique je vous importune, mon très-cher frère, en vous réitérant ma tendresse, j'espère que vous ne le trouverez pas mauvais, d'autant plus qu'elle part d'un cœur sincère et qui vous sera à jamais tout dévoué. Mon cœur de poule mouillée, qui s'attendrit à votre égard, ne me permet pas de vous en oser dire davantage; ainsi, mon cher frère, je prends congé encore une fois de votre chère personne, vous priant instamment de ne pas oublier Lottine,1_382-a qui vous aime passionnément, et qui sera jusqu'à la mort toute à vous.

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3. DE LA MÊME.

Le 14 juin 1740.



Mon très-cher frère,

Depuis que vous m'avez donné la gracieuse permission de vous écrire sur le vieux pied, j'aime encore une fois autant vous réitérer de mon respect et tendresse. Je ne puis vous dire quel contentement j'ai d'entendre dire tous les jours mille biens de vous et de la manière gracieuse et bienfaisante dont vous commencez votre règne. C'est une véritable consolation pour tout le monde, et vous vous faites adorer de vos sujets. La Reine-mère est très-contente de la manière dont vous agissez avec elle, et il me semble que vous faites oublier tous les regrets. J'ai écrit à la vieille de Blankenbourg,1_383-a qui vous assure de ses respects; elle regrette fort Duhan, et chacun a du regret de le voir partir, quoique, pour moi, je le voie dans de si bonnes mains, que j'aurais tort de ne lui pas laisser ce bonheur. Connaissant, mon très-cher frère, votre bon cœur et votre humeur, j'ai bien pensé que vous n'auriez aucune joie de vous trouver si grand seigneur, puisque vous aimez une certaine liberté qui ne peut toujours être dans le poste où vous êtes. Mais à présent soyez content, puisque vous avez un si bon but, d'être en état de faire du bien à tant de monde et de pouvoir mettre en œuvre tout le bon dont votre cœur est rempli. Il me semble que ce sera un grand bonheur pour tout le genre humain. La seule chose dont je vous supplie, mon cher frère, c'est de penser à votre santé, car elle m'est présentement doublement chère; et tâchez de la ménager et de ne vous pas trop fatiguer, car si à présent vous aviez mal au doigt, je serais dans des inquiétudes affreuses; et renoncez, je vous prie en grâce, à tous les vins échauffants, car cela vous mettra le feu au corps. Je finis mon<384> prêche en me recommandant toujours, avec le Duc, dans la continuation de vos bonnes grâces, étant toute ma vie, mon très-cher frère, etc.

4. A LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Charlottenbourg, 27 juin 1740.

.... On me flatte que vous vous portez à présent beaucoup mieux, et que, revenue du premier chagrin, vous commencez de prendre votre parti. J'en suis bien aise, ma très-chère sœur, car c'est pourtant l'unique parti qui vous reste et qui nous reste à tous. Nous voilà, Dieu merci, tous parfaitement contents les uns des autres, et dans une harmonie comme il convient à de bons parents. Rien ne l'altérera, et je contribuerai de mon côté, autant qu'il dépendra de moi, à resserrer plus étroitement les liens de cette union. Je me fais un grand plaisir de revoir le Duc et le cher Ferdinand, et puisque vous me le permettez, j'espère d'avoir le plaisir de vous embrasser à Salzthal, vous assurant, etc.

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5. DE LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Salzthal, 5 juillet 1740.



Mon très-cher frère,

La seule chose qui m'a fait prendre mon parti, c'est de savoir que j'avais un si bon frère, qui reprendrait en tout la place de père de famille; et je ne me suis point trompée, puisque j'apprends des effets merveilleux de votre bon cœur, ainsi que j'aurais grand tort si je voulais encore me laisser aller à la tristesse, surtout puisque vous avez la grâce de me marquer dans toutes vos lettres vos bontés pour moi. Conservez-les-moi, mon cher frère, c'est ce dont je vous supplie, car c'est toute ma consolation; et comptez que si vous me les retirez, vous serez la cause de ma mort. Le Duc serait parti sur-le-champ avec son frère pour le venir présenter; mais Marwitz1_385-a lui envoya une estafette où il lui écrivait qu'il avait reçu une de vos lettres pour le Duc, qu'il viendrait ici pour lui donner. Le Duc s'est imaginé qu'il avait peut-être des ordres que vous lui donniez, de manière qu'il doit lever les gens, et c'est ce qui est cause de l'arrêt de son voyage; il attend la poste d'aujourd'hui, pour apprendre encore vos ordres, et il se réglera d'abord après. Pour moi, je ressens, dans mon particulier, un contentement inexprimable d'avoir bientôt la joie de vous embrasser ici, et point de nouvelles ne me pourraient être plus agréables, surtout de pouvoir vous assurer de bouche, mon très-cher frère, de la tendresse et du parfait attachement avec lesquels je suis jusqu'à la mort, etc.

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6. DE LA MÊME.

Le 8 août 1740.



Mon très-cher frère,

Dans cet instant le Duc vient d'arriver, et qui me réjouit en me rendant votre chère lettre et le beau présent que vous avez eu la bonté d'y ajouter, et qui me fait beaucoup de plaisir, comme tout ce qui vient d'un si cher frère. Je n'ai jamais vu le Duc plus content qu'il l'a été de l'agréable séjour qu'il a fait, tant à Berlin qu'à Ruppin, Rheinsberg et Charlottenbourg. Surtout il n'a pu me louer assez toutes les grâces et l'accueil gracieux que vous lui avez faits. Je vous en remercie, mon très-cher frère, et le prends comme fait à moi-même. Je ne doute pas que tout cela fera un très-bon effet, et que cela encouragera le Duc avons témoigner de plus en plus, mon cher frère, le zèle et l'attachement qu'il a pour vous. Ferdinand est aussi très-content de l'heureux sort qu'il aura de vous servir, et, Dieu soit loué! tout est content. J'espère qu'aucun orage ne troublera la paix et la bonne union, et mon contentement sera parfait lorsque j'aurai la joie de vous revoir ici; le Duc m'en flatte, et votre chère lettre me le confirme, ainsi qu'il ne s'agit pour moi que d'avoir la patience d'attendre cet heureux jour, qui, en attendant, me paraîtra bien long avant qu'il arrive. En tout temps, soyez assuré, mon cher frère, que je suis toujours la même envers vous, et que je n'en démordrai jamais. Le Duc a trouvé Rheinsberg charmant, et n'en peut assez louer le goût. J'aurais bien voulu m'y transporter en métamorphose. On dit que vous êtes toujours le même, gai, de bonne humeur et toujours gracieux, et que c'est le règne du roi Charmant.1_386-a Le Kilian<387> Hohnstedt1_387-a a été bien réjoui de l'ordre du mérite que vous lui avez fait la grâce de donner, et il s'en pare comme un paon avec ses plumes. Enfin vous avez réjoui tout le monde, ce qui fait un bon effet pour moi. Je ne vous demande que la continuation de vos bonnes grâces, qui me sont des plus gracieuses, étant jusqu'à la fin de mes jours, avec une tendresse et un attachement inexprimable, mon très-cher frère, etc.

Je vous remercie que vous faites prier Dieu pour moi.1_387-b Les princesses d'ici seront prêtes à recevoir laquelle on donnera la pomme,1_387-c ce qui me fait beaucoup de plaisir, mon cher frère, que vous êtes dans cette intention.

7. A LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Potsdam, 8 octobre 1743.



Ma très-chère sœur,

Celui qui aura l'honneur de vous rendre cette lettre est le sieur de Voltaire,1_387-d dont la réputation est si connue et si généralement établie,<388> que tout ce que je puis vous en dire est superflu. Vous pouvez croire que l'auteur de la Henriade est un honnête homme, que celui du Temple de l'Amitié1_388-a en connaît le prix, que celui de la Philosophie de Newton est profond, que celui de vingt tragédies est connaisseur des hommes, et que celui de la Pucelle joint à l'élégance le badinage ou les saillies les plus vives et les plus brillantes que l'humeur enjouée puisse produire. Vous ferez bien, ma très-chère sœur, de profiter de l'apparition de tant de talents. J'envie bien le plaisir qu'aura Voltaire; mais je m'oublie, et il m'arriverait l'aventure de l'âne et du petit chien.1_388-b Adieu, charmante sœur; conservez-moi quelque part dans votre amitié, et soyez persuadée que personne ne peut être avec des sentiments plus distingués ni avec plus de tendresse que votre très-humble serviteur et fidèle frère, etc.

8. DE LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Brunswic, 18 octobre 1743.



Mon très-cher frère,

M. de Voltaire a été ici doublement bien reçu, comme vous pouvez le croire, m'apportant une de vos chères lettres, qui me sont toujours infiniment agréables par les marques de bonté que vous me témoignez, mon très-cher frère, et qui me sont des plus précieuses. Il est vrai que vous ne m'avez pas trop dit de vérité sur le chapitre de cet honnête homme, et que je trouve en lui tout l'assemblage de mérite, de savoir et d'agréments dans son esprit. Je suis charmée<389> de le voir pour profiter quelque chose de son esprit, en ayant fort besoin, mais craignant fort de ne point réussir. Voltaire ne jure que par vous, mon cher frère, et dit qu'il souhaiterait de pouvoir vivre et mourir à vos pieds. Il est charmé et content de toutes les grâces qu'il a reçues à Berlin. Cependant, malgré tous ses talents, il ne me pourrait point dédommager, si j'avais l'espérance de pouvoir me retrouver dans la compagnie d'un frère que je chéris autant que vous le méritez, et pour lequel je serai toute ma vie, avec une tendresse et un attachement inexprimable, etc.

9. DE LA MÊME.

(Brunswic) 24 juin (1768).



Mon très-cher frère,

Après les regrets de vous avoir vu partir d'ici et le désagrément de me trouver de nouveau éloignée et privée de jouir de votre chère présence, il n'y a rien de si intéressant pour moi, et qui me tienne tant à cœur, que de vous savoir de retour chez vous heureusement et en parfaite santé.1_389-a Veuille le ciel que la fatigue du grand voyage que vous avez fait n'ait point altéré votre précieuse santé, et que vous vous portiez bien, ce qui me servira à la plus grande consolation pendant l'absence; et j'espère que vous continuerez vos grâces à votre fidèle sœur, qui n'a de plus grand désir que de pouvoir se rendre digne de toutes vos bontés, dont mon cœur ne cesse d'être pénétré. Mon bon frère Ferdinand est arrivé hier ici; j'ai été réjouie<390> de lui trouver meilleur visage que sans cela, et j'espère que les bains qu'il compte prendre contribueront à fortifier sa santé. Il vous est bien attaché, et comme nous pensons également sur votre sujet, cela fait que je l'en aime davantage. Il veut nous quitter demain, ce qui sera un nouveau surcroît de peine pour moi, quoique je devrais être raisonnable et contente du bonheur que j'ai d'être à portée de voir plus souvent ma famille que d'autres, qui n'ont point cet avantage. Cependant je m'aperçois que j'en suis toujours avide, car je compte parmi mes jours les plus fortunés ceux que j'ai eu la satisfaction de passer avec vous. J'ai reçu une lettre que le prince Louis1_390-a a écrite au Duc, dans laquelle il chante vos louanges, se louant de l'accueil gracieux et amical que vous lui avez témoigné, et dit que tout le monde qui vous a vu a été charmé de la façon gracieuse dont vous l'avez reçu, et que vous avez emporté une approbation générale, et le cœur de tous les bons Hollandais, qui vous avaient admiré. Quoique je croie que vous n'êtes guère sensible à cette conquête, j'ai pourtant voulu vous en faire part.

Le Duc et toute ma famille se mettent à vos pieds. Je souhaite et fais des vœux pour que les eaux d'Éger soient le remède efficace pour votre conservation, afin que j'aie encore souvent la satisfaction de vous assurer de mes respects et du zèle avec lesquels je suis, mon adorable frère, etc.

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10. DE LA MÊME.

(Brunswic) 16 juin (1768).



Mon très-cher, tout adorable frère,

J'ai passé une bien mauvaise nuit après votre départ, et retourne tristement dans ma chambre, n'y trouvant plus cet adorable frère qui m'avait comblée de bontés et d'amitié. Je devais cependant m'attendre que le contentement de jouir de votre présence ne serait que momentané, et considérer comme une espèce de sacrifice le précieux temps que vous m'avez daigné destiner de vous voir à des occupations plus utiles; ce qui redouble les obligations que je vous dois, mon adorable frère, de cette nouvelle marque de vos bienveillances, dont je vous fais encore mes très-humbles remercîments avec un cœur pénétré de toutes vos bontés. J'en ai l'âme si remplie, que je ne pense à autre chose; et quoique c'est l'idée la plus agréable que je puisse avoir de me représenter mon cher frère dans l'imagination, la privation m'en est toujours d'autant plus sensible, et ce n'est que l'espérance dont vous m'avez flattée de pouvoir aspirer plus souvent à cette satisfaction qui sera capable de me faire surmonter la peine de votre séparation.

Le Duc et mon fils ont été très-charmés de la façon gracieuse et cordiale dont vous les avez accueillis, de même que des procédés honnêtes dont vous avez agi dans ces malheureuses catastrophes.1_391-a Veuille le ciel vous donner à l'avenir plus de contentement, et vous<392> rendre en toute chose aussi heureux que je le désire et que vous en êtes digne! Je souhaite avec empressement d'apprendre que les fatigues de toutes les courses que vous venez de faire ne vous aient pas échauffé, et que votre retour se soit terminé en parfaite santé. Ce qui n'a pas peu contribué à ma joie, c'est de vous trouver si bien, et un air de vigueur qui me flatte de vous savoir longtemps conservé. J'ai reçu votre gracieuse lettre avec attendrissement, et je la baisai mille fois; tout ce qui me vient de votre part me touche le cœur, qui vous appartient depuis que je vous connais, et qui vous restera jusqu'à mon trépas, étant avec des sentiments inaltérables de tendresse et d'amitié, etc.

11. DE LA MÊME.

(Brunswic) 30 juillet (1769).



Mon très-cher frère,

C'est toujours par de nouveaux bienfaits que vous répandez sur moi les marques de vos grâces et précieux souvenir. Ils me rendent muette par les vives impressions que le prix de vos bontés fait sur mon âme; j'en suis toute pénétrée, les facultés me manquent et ne sont pas suffisantes pour vous prouver toute ma reconnaissance, encore moins d'être en état de tracer par la plume les remercîments très-humbles que je vous dois, quoique imparfaits, pour le beau satin dont vous m'avez fait la galanterie. Il mérite de toute façon mon admiration, comme venant de vos mains, et étant fait sous vos auspices, à Potsdam, me le rend plus cher et agréable. La couleur en est charmante; le gris de lin m'est préférable, étant significatif par l'amour sans fin que l'on attribue à cette couleur, et qui me la fera porter<393> avec d'autant plus de satisfaction, en me rappelant l'amitié que mon adorable frère m'a témoignée jusqu'ici. L'étoffe en est si bonne, qu'on ne la distinguera point d'avec celles d'Angleterre ou de France; j'ai eu le plaisir de tromper ceux à qui je l'ai fait voir, qui l'ont prise pour une étoffe étrangère. Je suis charmée que votre industrie ait si bien réussi par les progrès de vos fabriques, qui ne démentent point l'œil du maître. Ce sera mon habit de fête pour cet hiver; je me trouverai plus parée qu'une sainte de Lorette, étant vêtue par mon saint, que j'honore et vénère seul. Je suis dans une grande joie de ce que le cher margrave d'Ansbach a été en état de vous apprendre des nouvelles plus consolantes de sa digne mère, et de ce qu'elle se porte mieux; comme il est le plus à portée d'en savoir la vérité, j'espère que c'est avec succès qu'on peut se confier sur ce qu'il dit. Voudrait le ciel qu'elle fût rétablie au point de pouvoir venir vous faire sa cour! J'espérerais d'en profiter par bricole, et ce serait une grande satisfaction pour moi si je revoyais une sœur dont j'avais perdu l'espérance dans cette vie. J'ai reçu une lettre de la margrave de Culmbach, qui est tout enthousiasmée de la façon gracieuse dont vous avez daigné lui faire part de ses affaires, et de l'intérêt que vous avez pris pour engager le margrave d'Ansbach à lui faire un douaire. Elle m'a chargée de la mettre à vos pieds, et de vous assurer que jamais elle n'oubliera vos bontés et l'approbation que vous lui avez donnée. Je suis persuadée qu'elle les fera sonner bien haut à Copenhague. Ma belle-fille est sortie avec quatre semaines de couches,1_393-a et se porte au mieux. Il ne transpire rien du voyage d'Angleterre. Il paraît que cette idée quelle avait de vouloir y faire un tour se ralentit; du moins jusqu'à présent elle reste encore indécise. Mon fils n'irait pas cette fois volontiers; ainsi je crois qu'il sera bien aise s'il peut venir<394> à bout de l'empêcher, à cause de ses affaires ici, qui exigent sa présence. Le duc de Glocester1_394-a sera de retour vers le 10 du mois prochain, et veut repartir le 13. Vous aurez une dame, à Berlin, qui m'est connue; c'est la comtesse Clary, née d'Osten,1_394-b qui est votre sujette, étant née en Poméranie. Elle a passé il y a quelques années ici. Elle est très-fiée avec le prince Kaunitz, à Vienne, et fait souvent les honneurs de sa maison; on dit que le sujet de son voyage est pareil à celui que la reine de Saba fit pour voir Salomon,1_394-c et qu'elle est avide de vous voir et de vous entendre. D'ailleurs, c'est une petite-maîtresse, mais qui a beaucoup d'intelligences à Vienne. Je n'ai pas voulu négliger de vous faire part de tout ceci. Nous avons pensé perdre le fils aîné de mon fils, qui a été extrêmement mal d'une colique de crampes, causée par de fortes obstructions; à force de remèdes on a cependant trouvé moyen de le soulager. Il commence à se remettre; cependant je crains que sa convalescence ira lentement, souffrant encore des duretés dans le bas-ventre. Le sentiment des médecins se réunit qu'on a donné trop de nourriture à l'enfant, ce qui lui a attiré ces incommodités. Les parents en ont été fort alarmés; on a fait venir le médecin Zimmermann1_394-d de Hanovre, qui est Suisse et fort habile, qui donne assez bonne espérance de l'enfant. Vous me trouverez indiscrète de ce que j'abuse tant de votre patience à lire un si long griffonnage; sans votre indulgence, qui m'enhardit, j'aurais fini plus tôt, quoiqu'il est me faire un effort lorsque je me vois obligée de rompre l'entretien avec vous, et que je ne passe jamais plus agréablement les heures que quand je pense en idée à mon adorable frère,<395> qui m'occupe continuellement, étant sans cesse avec le profond et plus tendre respect et dévouement, etc.

12. A LA DUCHESSE DE BRUNSWIC.

Le 12 mai 1785.



Mon adorable sœur,

Il y a soixante-dix ans passés que je suis au monde, et dans tout ce temps je n'ai vu que des jeux bizarres de la fortune, qui mêle quantité d'événements fâcheux à quelques favorables qui nous arrivent. Nous ballottons sans cesse entre beaucoup de chagrins et quelques moments de satisfaction. Voilà, ma bonne sœur, le sort commun de tous les hommes. Les jeunes gens doivent être plus sensibles à la perte de leurs proches et de leurs amis que les vieillards. Les premiers se ressentent longtemps de ces privations, au lieu que les personnes de notre âge les suivent dans peu. Les morts ont l'avantage d'être à l'abri de tous les coups de la fortune, et nous qui restons en vie, nous y sommes sans cesse exposés. Toutes ces réflexions, ma bonne sœur, ne sont guère consolantes, je l'avoue. Heureusement que votre sagesse et votre esprit vous ont donné la force de résister à la douleur qu'éprouve une tendre mère en perdant un de ses enfants chéris.1_395-a Veuille le ciel continuer de vous assister, en conservant une sœur qui fait le bonheur de ma vie! Daignez, ma bonne sœur, me croire avec le plus tendre attachement et la plus haute considération, mon adorable sœur, etc.

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13. A LA MÊME.

(Sans-Souci) 10 août 1786.



Mon adorable sœur,

Le médecin de Hanovre a voulu se faire valoir chez vous, ma bonne sœur; mais la vérité est qu'il m'a été inutile. Les vieux doivent faire place aux jeunes gens, pour que chaque génération trouve sa place; et, à bien examiner ce que c'est que la vie, c'est voir mourir et naître ses compatriotes. En attendant, je me trouve un peu soulagé depuis quelques jours. Mon cœur vous reste inviolablement attaché, ma bonne sœur. Avec la plus haute considération, etc.


1_381-a Voyez, J.-D.-E. Preuss, Friedrichs des Grossen Jugend und Thronbesteigung, p. 165 et 166; et notre t. XXVI, p XVII et 14.

1_382-a Voyez ci-dessus, p. 115.

1_383-a Voyez ci-dessus, p. 100.

1_385-a Lieutenant-général prussien. Voyez ci-dessus, p. 142.

1_386-a Le roi Charmant est le principal personnage du conte de l'Oiseau bleu, par la comtesse d'Aulnoy.

1_387-a Probablement le colonel de Hohnstedt, mentionné dans la lettre de Frédéric au duc Charles de Brunswic, du 28 novembre 1740.

1_387-b Par un ordre de Cabinet daté de Charlottenbourg, 26 juillet 1740, Frédéric avait chargé le ministre d'État de Brandt et le président de Reichenbach de faire faire, dans toutes les provinces, les prières publiques d'usage pour la grossesse de la duchesse de Brunswic-Wolfenbüttel, qui accoucha le 29 octobre du prince Frédéric-Auguste.

1_387-c La Duchesse parle de ses belles-sœurs, les sœurs de la reine Elisabeth, dont l'aînée, la princesse Louise, choisie pour être la femme du prince Guillaume, frère de Frédéric, arriva à Charlottenbourg, le 22 novembre 1741, comme fiancée de ce prince. Voyez ci-dessus, p. 116 et 118.

1_387-d Voyez t. XXII, p. 164 et 167.

1_388-a Petit poëme de l'an 1732.

1_388-b La Fontaine, Fables, liv. IV, fable 5.

1_389-a Frédéric était parti pour Loo le 1er juin 1768 (t. XXIV, p. 174), et il était de retour le 20. Dans ce voyage, il avait vu sa sœur à Brunswic et à Salzthal.

1_390-a Voyez t. XXVI, p. 27 et 61.

1_391-a La Duchesse parle de l'inconduite de sa fille, la princesse Elisabeth, femme du Prince de Prusse, et de l'arrêt de divorce prononcé le 21 avril 1769. Voyez t. VI, p. 24 et 25. Frédéric dit dans sa lettre inédite à son frère le prince Henri, du 26 mars 1760, :« .... D'ailleurs, nous faisons ici des séparations, et je suis occupé à trouver les fonds et faire les arrangements nécessaires pour l'établissement de madame Pietro. » Voyez t. XXVI, p. 45, 56 et 69, et J.-D.-E. Preuss, Urkundenbuch zu der Lebensgeschichte Friedrichs des Grossen, t. III, p. 213 et suivantes, et t. V, p. 248; voyez aussi Friedrich Ludwig Schröder. Beitrag zur Kunde des Menschen und des Künstlers, von F. L. W. Meyer. Hambourg, 1819, t. I, p. 108.

1_393-a La princesse Auguste, sœur de George III, roi d'Angleterre, et femme de Charles-Guillaume-Ferdinand, alors prince héréditaire de Brunswic, accoucha le 27 juin 1769 d'un prince qui fut nommé George-Guillaume-Chrétien.

1_394-a Voyez t. XXVI, p. 367 et 368.

1_394-b Frédérique-Charlotte-Henriette, fille de Matthieu-Conrad von der Osten, président de la chambre à Berlin, née en 1731, épousa, en 1748, François-Charles comte de Clary et Aldringen, et mourut à Vienne en 1798.

1_394-c III Rois, chap. X, v. 1 et suivants, d'après la Vulgate. La traduction de Luther, I Rois, chap. X, v. 1 et suivants, porte : Die Königin vom Reich Arabien. Voyez t. XXII, p. 8.

1_394-d Voyez t. XXV, p. XI, XII, et 431-434.

1_395-a Le prince Léopold de Brunswic, né le 10 octobre 1752, périt à Francfort-sur-l'Oder, le 27 avril 1780, lors de la grande inondation, en voulant sauver des hommes en danger.