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14. DU ROI DE SUÈDE.

Le 6 décembre 1775.

C'est à Votre Majesté que je m'adresse, non pas comme à un souverain qui m'est étranger, et avec qui toute relation, excepté celle qui passe par les ministres ordinaires, est interdite, mais à mon oncle, en qui j'ai placé ma confiance depuis longtemps, et avec qui je suis accoutumé à m'entretenir en particulier. Tout ministre qui se trouvera à ma cour de la part de V. M. me sera certainement agréable, et M. le comte de Nostitz l'est de même. Il est jeune, et je suis persuadé qu'il ne voudra pas me déplaire; mais il me semble qu'il s'est laissé un peu emporter dans une affaire qui, en vérité, n'en valait pas la peine. Il n'a été question que d'un de ses laquais qui n'a pas voulu rester à l'endroit où se tiennent tous les autres domestiques au bal de l'Opéra, qui a fait du train, qui a résisté à ma garde, et qui a pris l'officier qui la commandait par le collet, lorsqu'il voulait le faire sortir d'un vestibule où il était défendu à la livrée de demeurer, afin que les masques qui entraient et qui sortaient du bal n'en fussent point importunés. Ce domestique a été envoyé au corps de garde du château la nuit du vendredi au samedi, et il ne pouvait en sortir qu'à mon réveil, lorsqu'on m'eut fait rapport de ce qui s'était passé. Il le fut dans l'instant, et j'ordonnai à l'officier, quoique insulté, de se rendre auprès de M. de Nostitz pour lui faire excuse de cette méprise. Cela ne pouvait se faire que le lendemain dimanche, parce que le sous-introducteur devait préalablement aller chez M. de Nostitz savoir l'heure où ce ministre voulait rester chez lui pour recevoir la visite de l'officier. Tout cela a été exécuté dans la journée de dimanche; le comte de Cronstedt, qui est l'officier en question, y a été; il a été accompagné du même sous-introducteur, et il a fait à M. de Nostitz une excuse pareille à celle dont je joins ici la copie. C'était,<94> je crois, tout ce qu'on peut faire pour un laquais arrêté; mais ce qui m'a paru étrange, dans une affaire qui ordinairement ne fait pas de sensation dans aucune cour, c'est le ton et la manière dont M. de Nostitz l'a traitée. Il a fait passer dans ces entrefaites deux notes ministérielles à M. de Scheffer, dont j'envoie également des copies à V. M., afin qu'elle juge elle-même si elles se trouvent conformes aux sentiments que V. M. m'a toujours témoignés. Il ne pouvait pas ignorer que mon dessein ne fût de lui rendre toute justice possible. M. de Scheffer l'en avait assuré dans la réponse qu'il fit à sa première note, et je connais trop les égards que demande le caractère de ministre étranger, pour vouloir que personne dans mon royaume y manquât. Certes, ce ne sera pas par celui de V. M. que l'on commencera. Mais après vous avoir mis, mon cher oncle, au fait de cette affaire, je proteste que mon intention n'est point de me plaindre de M. de Nostitz; je serais même au désespoir si le moindre désagrément lui en arrivait. Tout ce que je désire, si V. M. même le juge à propos, c'est qu'il puisse être avisé de mettre un peu plus de douceur et de liant dans sa manière de traiter les affaires. Je suis persuadé que cela est conforme à l'amitié que V. M. m'a toujours témoignée, et dont elle ne voudra pas que celui qui est chargé de l'entretenir puisse s'écarter.

J'ai été alarmé un moment pour la santé de V. M.; je suis heureusement rassuré sur ce sujet, mais ma mère m'inquiète de nouveau par une fièvre dont elle ne peut pas être entièrement guérie. Tous ces sujets d'intérêt augmentent et fortifient les sentiments de la haute considération et de l'attachement parfait avec lesquels je serai pour toujours, etc.