<66>Pour juger combien leur mauvaise volonté outrait les mauvais succès des Russes, il sera nécessaire de rapporter ce qui se passa entre les armées dans cette campagne, et même de remonter un peu plus haut. Depuis la rupture du congrès de Bucharest, l'impératrice de Russie, accoutumée aux exploits inconcevables de ses troupes, crut qu'au moyen d'une nouvelle victoire, elle pourrait fléchir l'obstination du sultan, et le faire consentir aux conditions de paix dont elle ne voulait pas se désister. Elle se flattait, avec cela, que le gain d'une bataille ne dépendait que d'un ordre signé de sa main. Elle manda donc au maréchal de passer le Danube avec son armée, et d'attaquer l'ennemi partout où il le trouverait. Le maréchal avait quelque répugnance à commettre sa réputation dans une entreprise aussi hasardeuse; il en représenta les difficultés : le Danube large d'un mille dans ces contrées, l'impossibilité d'y faire des ponts, le danger de débarquer à l'autre bord sous le feu de l'ennemi. Il ajouta qu'on ne trouverait aucun établissement dans la Romélie, et qu'on devait craindre d'exposer l'armée dans des circonstances pareilles à celles où Pierre Ier s'était trouvé au bord du Pruth.
Ces représentations furent vaines : les raisons de guerre cédèrent à l'impatience de l'Impératrice; M. de Romanzoff fut contraint de passer le Danube avec son armée, forte de trente-cinq mille hommes. Il repoussa et défit un corps d'observation que les Turcs avaient poussé vers les bords du fleuve; il marcha ensuite sur Silistria, qu'il avait intention de prendre. Cette ville est située dans une gorge; elle n'a point d'ouvrages qui la défendent, mais les montagnes qui l'environnent de deux côtés, étaient bien fortifiées; trente mille Turcs y campaient, et l'armée du grand vizir, postée sur le mont Hémus, était à portée de la secourir. Le maréchal Romanzoff, approchant de Silistria, résolut de prendre cette ville d'emblée : il partagea son armée en différents corps, les uns pour soutenir les batteries qui tiraient sur le camp des ennemis, d'autres pour attaquer la ville par l'endroit