<112> de regagner par des travaux infatigables le temps que nos désastres nous ont fait perdre; et, en général, le goût national est si décidé pour tout ce qui peut illustrer notre patrie, qu'il est presque évident avec de telles dispositions, que les Muses nous introduiront à notre tour dans le temple de la Gloire. Examinons donc ce qu'il reste à faire pour arracher de nos champs toutes les ronces de la barbarie qui s'y trouvent encore, et pour accélérer ces progrès si désirables auxquels nos compatriotes aspirent.

Je vous l'ai déjà dit, il faut commencer par perfectionner la langue : elle a besoin d'être limée et rabotée; elle a besoin d'être maniée par des mains habiles. La clarté est la première règle que doivent se prescrire ceux qui parlent et qui écrivent, parce qu'il s'agit de peindre sa pensée ou d'exprimer ses idées par des paroles. A quoi servent les pensées les plus justes, les plus fortes, les plus brillantes, si vous ne les rendez intelligibles? Beaucoup de nos auteurs se complaisent dans un style diffus; ils entassent parenthèse sur parenthèse, et souvent vous ne trouvez qu'au bout d'une page entière le verbe d'où dépend le sens de toute la phrase; rien n'obscurcit plus la construction; ils sont lâches, au lieu d'être abondants, et l'on devinerait plutôt l'énigme du sphinx que leur pensée. Une autre cause qui nuit autant aux progrès des lettres que les vices que je reproche à notre langue et au style de nos écrivains, c'est le défaut des bonnes études. Notre nation a été accusée de pédanterie, parce que nous avons eu une foule de commentateurs vétilleurs et pesants. Pour se laver de ce reproche, on commence à négliger l'étude des langues savantes; et afin de ne point passer pour pédant, on va devenir superficiel. Peu de nos savants peuvent lire sans difficulté les auteurs classiques tant grecs que latins. Si l'on veut se former l'oreille à l'harmonie des vers d'Homère, il faut pouvoir le lire coulamment sans le secours d'un dictionnaire. J'en dis autant au sujet de Démosthène, d'Aristote, de Thucydide et de Platon. Il en est de même pour se rendre familière la connaissance des auteurs