<120> attentifs à ne point devenir obscurs; et pour conserver cette clarté, le premier des devoirs de tout écrivain, ils ne s'écarteront jamais des règles de la grammaire, afin que les verbes qui doivent régir les phrases, soient placés de sorte qu'il n'en résulte aucun sens amphibologique. Des traductions faites en ce genre serviront de modèles, sur lesquels nos écrivains pourront se mouler. Alors nous pourrons nous flatter d'avoir suivi le précepte qu'Horace donne aux auteurs dans sa Poétique : Tot verba, tot pondera.a

Il sera plus difficile d'adoucir les sons durs dont la plupart des mots de notre langue abondent.b Les voyelles plaisent aux oreilles; trop de consonnes rapprochées les choquent, parce qu'elles coûtent à prononcer, et n'ont rien de sonore. Nous avons, de plus, quantité de verbes auxiliaires et actifs dont les dernières syllabes sont sourdes et désagréables, comme sagen, geben, nehmen : mettez un a au bout de ces terminaisons, et faites-en sagena, gebena, nehmena, et ces sons flatteront l'oreille. Mais je sais aussi que, quand même l'Empereur, avec ses huit électeurs, dans une diète solennelle de l'Empire, donnerait une loi pour qu'on prononçât ainsi, les sectateurs zélés du tudesque se moqueraient d'eux, et crieraient partout en beau latin : Caesar non est super grammaticos; et le peuple, qui décide des langues en tout pays, continuerait à prononcer sagen et geben, comme de coutume. Les Français ont adouci par la prononciation bien des mots qui choquent les oreilles, et qui avaient fait dire à l'empereur Julien que les Gaulois croassaient comme les corneilles.c Ces mots, tels qu'on les prononçait alors, sont, cro-jo-gent, voi-yai-gent. On les prononce à


a Cette sentence ne se trouve ni dans Horace ni dans aucun autre auteur romain.

b Voyez t. II, p. 44.

c L'empereur Julien dit, au commencement du Misopogon : « N'ai-je pas vu moi-même avec quelle complaisance les barbares d'au delà du Rhin goûtent une musique sauvage dont les paroles aussi rudes que les airs ressemblent au cri de certains oiseaux? » Histoire de l'empereur Jovien, et traductions de quelques ouvrages de l'empereur Julien, par M. l'abbé de la Bletterie. A Amsterdam, 1750, in-8, t. II, p. 270.