<5> mourants, fussent-ils même de cette espèce humaine méprisée par l'avilissement des emplois dans lesquels elle vit; c'était encore M. Jordan dont le cœur compatissant et tendre assistait dans leurs dernières heures ces personnes, qui, sans lui, auraient souffert sans secours et seraient mortes sans consolation.

Un caractère si serviable, cette bonté de cœur qui ne se démentait jamais, ce fonds de charité inépuisable, en un mot, toutes les bonnes qualités de M. Jordan le firent aimer et respecter de tous ces Français que la révocation de l'édit de Nantes avait établis à Prenzlow. S'il prit part à leur affliction et à leur malheur, ils furent également sensibles à la mort de sa femme, qu'il perdit au mois de mars de l'année 1732. La vivacité de son tempérament, et la force avec laquelle les passions règnent dans l'âme de la jeunesse, ne permirent point à M. Jordan de souffrir cette perte avec une constance stoïque : vrai portrait de la fragilité humaine, qui nous permet de triompher par nos raisons de la faiblesse des autres, mais qui nous laisse tomber les armes des mains quand il s'agit de nous-mêmes. Le chagrin et la douleur le rongeaient. Sa santé en fut altérée si considérablement, qu'il eut des attaques réitérées de crachement de sang, qui manquèrent de le rejoindre dans le tombeau aux cendres de son épouse. Sa maladie dégénéra en mélancolie, et il prit ce prétexte pour quitter les emplois du ministère, et pour venir goûter à Berlin les douceurs de l'étude et du repos.

Dans les chagrins qui proviennent de la tendresse, l'affliction est d'autant plus opiniâtre, qu'elle se croit autorisée par un motif de vertu. Tout ce qui rappelle les pertes que l'on a faites, rouvre de nouveau ces plaies, en y enfonçant le poignard de la mélancolie, guidé des mains de la constance et de la fidélité : les distractions et le temps ont seuls le droit de guérir.

Ces considérations, jointes aux instances de ses parents, déterminèrent M. Jordan à faire le voyage de France, d'Angleterre et de