<64> son imagination, aussi brillante que variée, son esprit, aussi prompt que présent; il suppléait par les grâces de la fiction à la stérilité des matières; en un mot, il faisait les délices de toutes les sociétés. Une malheureuse dispute qui s'éleva entre lui et M. de Maupertuis, brouilla ces deux savants qui étaient faits pour s'aimer et non pour se haïr, et la guerre qui survint en 1756, inspira à M. de Voltaire le désir de fixer son séjour en Suisse : il se rendit à Genève, à Lausanne; ensuite il fit l'acquisition des Délices, et enfin, il s'établit à Ferney. Son loisir se partageait entre l'étude et l'ouvrage : il lisait et composait; il occupait ainsi, par la fécondité de son génie, tous les libraires de ces cantons. La présence de M. de Voltaire, l'effervescence de son génie, la facilité de son travail persuada à tout son voisinage qu'il n'y avait qu'à le vouloir pour être bel esprit; ce fut comme une espèce de maladie épidémique dont les Suisses, qui passent, d'ailleurs, pour n'être pas des plus déliés, furent atteints; ils n'exprimaient plus les choses les plus communes que par antithèses ou en épigrammes. La ville de Genève fut le plus vivement atteinte de cette contagion : les bourgeois, qui se croyaient au moins des Lycurgues, étaient tous disposés à donner de nouvelles lois à leur patrie; mais aucun ne voulait obéir à celles qui subsistaient. Ces mouvements, causés par un zèle de liberté malentendu, donnèrent lieu à une espèce d'émeute ou de guerre qui ne fut que ridicule. M. de Voltaire ne manqua pas d'immortaliser cet événement, en chantant cette soi-disant guerrea sur le ton que celle des rats et des grenouilles l'avait été autrefois par Homère. Tantôt sa plume féconde enfantait des ouvrages de théâtre, tantôt des mélanges de philosophie et d'histoire, tantôt des romans allégoriques et moraux; mais en même temps qu'il enrichissait ainsi la littérature de ses nouvelles productions, il s'appliquait à l'économie rurale. On voit combien un bon esprit est susceptible de toute sorte de formes :


a La guerre civile de Genève, ou les amours de Robert Covelle, poëme héroïque, avec des notes instructives. 1768.