<76> prodigieux, que, pour calmer cette espèce de fièvre chaude, il eut recours aux opiats, dont il prit de si fortes doses, que, loin de soulager son mal, elles accélérèrent sa fin. Peu après ce remède pris avec si peu de ménagement, se manifesta une espèce de paralysie qui fut suivie du coup d'apoplexie qui termina ses jours.a

Quoique M. de Voltaire fût d'une constitution faible; quoique le chagrin, le souci et une grande application aient affaibli son tempérament, il poussa pourtant sa carrière jusqu'à la quatre-vingt-quatrième année. Son existence était telle, qu'en lui l'esprit l'emportait en tout sur la matière; c'était une âme forte qui communiquait sa vigueur à un corps presque diaphane. Sa mémoire était étonnante, et il conserva toutes les facultés de la pensée et de l'imagination jusqu'à son dernier soupir. Avec quelle joie vous rappellerai-je, messieurs, les témoignages d'admiration et de reconnaissance que les Parisiens rendirent à ce grand homme durant son dernier séjour dans sa patrie! Il est rare, mais il est beau que le public soit équitable, et qu'il rende justice de leur vivant à ces êtres extraordinaires que la nature ne se complaît de produire que de loin en loin, afin qu'ils recueillent de leurs contemporains mêmes les suffrages qu'ils sont sûrs d'obtenir de la postérité. L'on devait s'attendre qu'un homme qui avait employé toute la sagacité de son génie à célébrer la gloire de sa nation, en verrait rejaillir quelques rayons sur lui-même : les Français l'ont senti, et, par leur enthousiasme, ils se sont rendus dignes de partager le lustre que leur compatriote a répandu sur eux et sur le siècle. Mais croirait-on que ce Voltaire, auquel la profane Grèce aurait élevé des autels, qui eût eu dans Rome des statues, auquel une grande impératrice, protectrice des sciences, voulait ériger un monument à Pétersbourg; qui croira, dis-je, qu'un tel être pensa manquer dans sa patrie d'un peu de terre pour couvrir ses cendres? Eh quoi! dans le dix-huitième siècle, où les lumières sont plus répandues


a Voltaire mourut le 30 mai 1778, à Paris, où il était né le 21 novembre 1694.