<207>vers lorsqu'il fut tiré du chaos. Ce pays est limitrophe, d'un côté, de la Grande-Tartarie et des Indes, d'un autre, de la mer Noire et de la Hongrie, et, du côté de l'Europe, ses frontières s'étendent jusqu'à la Pologne, la Lithuanie et la Courlande; la Suède le borne du côté du nord. La Russie peut avoir trois cents milles d'Allemagne de large, sur trois cents milles de longueur; le pays est fertile en blés, et fournit toutes les denrées nécessaires à la vie, principalement aux environs de Moscou et vers la Petite-Tartarie : cependant, avec tous ces avantages, il ne contient tout au plus que quinze millionsa d'habitants. Cette nation, autrefois barbare, et qui commence à présent à figurer en Europe, n'est guère plus puissante que la Hollande en troupes de mer et de terre, et lui est beaucoup inférieure en richesses et en ressources.

La force donc d'un État ne consiste point dans l'étendue d'un pays, ni dans la possession d'une vaste solitude ou d'un immense désert, mais dans la richesse des habitants et dans leur nombre. L'intérêt d'un prince est donc de peupler un pays, de le rendre florissant, et non de le dévaster et de le détruire. Si la méchanceté de Machiavel fait horreur, ses raisonnements font pitié, et il aurait mieux fait d'apprendre à bien raisonner que d'enseigner sa politique monstrueuse.

« Un prince doit établir sa résidence dans une république nouvellement conquise. » C'est la troisième maxime de l'auteur; elle est plus modérée que les autres; mais j'ai fait voir dans le troisième chapitre les difficultés qui peuvent s'y opposer.

II me semble qu'un prince qui aurait conquis une république après avoir eu des raisons justes de lui faire la guerre, devrait se contenter de l'avoir punie, et lui rendre ensuite sa liberté; peu de


a Les mots « quinze millions, » qui se trouvent dans les éditions de Voltaire, sont en blanc dans notre autographe.