<257> du moins éblouir. A quoi peut servir à la société la longue vie d'un homme oisif et fainéant? Souvenons-nous de ces vers :

Et ne mesurons point au nombre des années
La course des héros.a

Il ne s'agit point qu'un homme traîne jusqu'à l'âge de Mathusalem le fil indolent et inutile de ses jours; mais plus il aura réfléchi, mais plus il aura fait d'actions belles et utiles, et plus il aura vécu.

D'ailleurs, la chasse est de tous les amusements celui qui convient le moins aux princes. Ils peuvent manifester leur magnificence d'une manière beaucoup plus utile pour leurs sujets; et s'il se trouvait que l'abondance du gibier ruinât les gens de la campagne, le soin de détruire ces animaux pourrait très-bien se commettre aux chasseurs. Les princes ne devraient proprement être occupés que du soin de s'instruire, afin d'acquérir d'autant plus de connaissances, et de pouvoir d'autant plus combiner d'idées. Leur profession est de penser bien et juste; c'est à quoi ils devraient tous exercer leur esprit; mais comme les hommes dépendent beaucoup des habitudes qu'ils contractent, et que leurs occupations influent infiniment sur leur façon de penser, il paraîtrait naturel qu'ils préférassent la compagnie de gens sensés, qui leur donnent de la douceur, à celle des bêtes, qui ne peuvent que les rendre farouches et sauvages. Car quels avantages n'ont point ceux qui ont monté leur esprit sur le ton de la réflexion, sur ceux qui assujettissent leur raison sous l'empire des sens! La modération, cette vertu si nécessaire aux princes, ne se trouve point chez les chasseurs, et cela serait suffisant pour rendre la chasse odieuse.

Je dois ajouter encore, pour répondre à toutes les objections qu'on pourrait me faire, et pour retourner à Machiavel, qu'il n'est point nécessaire d'être chasseur pour être grand capitaine; que Gustave-Adolphe, mylord Marlborough et le prince Eugène, à qui on ne disputera pas la qualité d'hommes illustres et d'habiles officiers, n'ont


a Odes de J.-B. Rousseau, livre II, ode X, vers 35 et 36. Voyez t. VII, p. 25.