<44> croirez par opiniâtreté. Ensuite l'exemple de tant d'hommes qui adhèrent à un sentiment vous entraîne; leurs suffrages sont pour vous une autorité suffisante; ils donnent du poids par leur nombre; l'erreur populaire fait des prosélytes et triomphe; enfin, ces erreurs invétérées deviennent formidables par la suite des temps. Figurez-vous un jeune arbrisseau dont le jet se ploie à l'effort des vents, qui, dans la suite de sa durée, oppose sa tête altière aux nuées, et présente à la hache du bûcheron un tronc inébranlable. Comment! dit-on, mon père a raisonné ainsi, et il y a soixante, il y a soixante-dix ans que je raisonne de même; par quelle injustice prétendez-vous que je commence à présent à raisonner d'une autre manière! Il me siérait bien de redevenir écolier et de m'engager comme apprenti sous votre direction! Allez, allez, j'aime mieux ramper sur les pas de l'usage que de m'élever, nouvel Icare, avec vous dans les airs; souvenez-vous de sa chute; c'est là le salaire des nouvelles opinions, et c'est là la peine qui vous attend. L'opiniâtreté se mêle souvent à la prévention, et une certaine barbarie qu'on appelle le faux zèle ne manque jamais d'étaler ses tyranniques maximes.

Voilà les effets qui suivent les préjugés de l'enfance; ils prennent une plus profonde racine, à cause de la flexibilité du cerveau à cet âge tendre. Les premières impressions sont les plus vives, et tout ce que peut la force du raisonnement ne paraît que froid en comparaison.

Vous voyez, mon cher Philante, que l'erreur est le partage des humains. Vous comprendrez sans doute, après tout ce que je viens de vous détailler, qu'il faut être bien infatué de ses opinions pour se croire au-dessus de l'erreur, et qu'il faut être soi-même très-ferme dans ses arçons pour oser entreprendre de désarçonner les autres.

- Je commence à voir à mon grand étonnement, répondit Philante, que la plupart des erreurs sont invincibles pour ceux qui en sont infectés. Je vous ai écouté avec plaisir et avec attention, et j'ai fort