<46> dont les délices sont capables d'adoucir la mort même, et de la rendre aimable, s'il était possible. Je me rappelle, à ce propos, l'histoire qu'on m'a contée d'un fou; peut-être vous dédommagera-t-elle de mon long et didactique raisonnement. - Mon silence, me dit Philante, vous fait assez comprendre que je vous écoute avec plaisir, et que je suis curieux d'entendre votre histoire. - Je vais vous contenter, Philante, à condition que vous ne vous repentirez point de m'avoir fait jaser.

Il y avait un fou aux Petites-Maisons de Paris, homme de très-bonne naissance, qui mettait tous ses parents dans la dernière affliction par le dérangement de son cerveau : il était sensé sur tout autre sujet, hors celui de sa béatitude; alors ce n'était que compagnies de chérubins, de séraphins et d'archanges; il chantait tout le jour dans le concert de ces esprits immortels, il était honoré de visions béatifiques, le paradis était sa demeure, les anges étaient ses compagnons, et la manne céleste lui servait d'aliment. Cet heureux fou jouissait d'un bonheur parfait dans les Petites-Maisons, lorsqu'un médecin ou chirurgien vint pour son malheur faire la visite des fous. Ce médecin offrit à la famille de guérir le béat. Vous pouvez croire qu'on n'épargna aucune promesse pour l'engager à se surpasser, et à effectuer des prodiges, s'il le pouvait. Enfin, pour abréger, soit par des saignées, ou par d'autres remèdes, il réussit à remettre le fou dans son bon sens. Celui-ci, fort étonné de ne plus se trouver au ciel, mais dans un appartement assez approchant d'un cachot, et environné d'une compagnie qui n'avait rien d'angélique, s'emporta extrêmement contre le médecin. J'étais bien dans le ciel, lui dit-il, ce n'était pas à vous de m'en faire sortir; je voudrais que pour votre peine vous fussiez condamné à peupler réellement le pays des damnés dans les enfers.

Vous voyez par là, Philante, qu'il est d'heureuses erreurs; il ne m'en coûtera rien de vous montrer qu'elles sont innocentes. - Je le