<127> il est rare qu'elle soit mal reçue. Enfin j'éprouve le besoin d'être assisté et défendu; de qui pourrai-je exiger de pareils services, si je ne m'en acquitte pas moi-même?

DEMANDE. En servant les hommes, on n'oblige souvent que des ingrats; que vous reviendra-t-il de vos peines?

RÉPONSE. Il est beau de faire des ingrats; il est infâme de l'être.

DEMANDE. La reconnaissance est un poids bien pesant, et souvent insupportable; on ne s'acquitte jamais d'un bienfait. Ne trouvez-vous pas qu'il est dur de le porter toute sa vie?

RÉPONSE. Non, parce que ce souvenir me rappelle sans cesse les belles actions de mes amis; la mémoire de leurs nobles procédés est longue dans mon esprit; je n'ai la mémoire courte que sur le sujet des offenses. Il n'est point de vertu sans reconnaissance; elle est l'âme de l'amitié, de la plus douce consolation de la vie. C'est elle qui nous lie à nos parents, à notre patrie, à nos bienfaiteurs. Non, je n'oublierai jamais la société qui m'a vu naître, le sein qui m'a allaité, le père qui m'a élevé, le sage qui m'a instruit, la langue qui m'a défendu, le bras qui m'a assisté.

DEMANDE. J'avoue que les services qu'on vous a rendus vous ont été utiles; mais quel intérêt propre vous oblige à la reconnaissance?

RÉPONSE. Le plus grand de tous, celui de me ménager des amis dans le besoin, de mériter par ma reconnaissance que des âmes bienfaisantes m'assistent, parce qu'aucun homme ne peut se passer de secours, et qu'il faut s'en rendre digne, enfin parce que le public abhorre les ingrats, qu'il les regarde comme les perturbateurs des plus doux liens de la société, qu'ils rendent l'amitié dangereuse, les bons offices nuisibles à ceux qui s'en acquittent, parce qu enfin ils rendent le mal pour le bien. Il faut avoir un cœur insensible, pervers, atroce, pour être ingrat. Serai-je capable d'une pareille noirceur? Me rendrai-je indigne de la société des honnêtes gens? Agirai-je contre cet instinct secret de mon cœur qui me crie : Ne sois pas inférieur à tes