<215>tinguent des autres, sont inaltérables; tout peuple a un caractère à soi, qui peut être modifié par le plus ou le moins d'éducation qu'il reçoit, mais dont le fond ne s'efface jamais. Nous pourrions facilement appuyer cette opinion sur des preuves physiques; mais il ne faut pas nous écarter de notre sujet. Il s'ensuit donc que les princes n'ont jamais totalement changé la façon de penser des peuples; qu'ils n'ont jamais pu forcer la nature à produire des grands hommes, lorsqu'elle s'y refusait. Quoique le travail des mines soit soumis à leurs ordres, les veines fécondes ne le sont pas; elles s'ouvrent tout à coup en fournissant des richesses abondantes, et se perdent dans le temps qu'on les poursuit avec le plus d'avidité. Quiconque a lu Tacite et César, reconnaîtra encore les Allemands, les Français et les Anglais, aux couleurs dont ils les peignent; dix-huit siècles n'ont pu les effacer : comment donc un règne pourrait-il effectuer ce que tant de siècles n'ont pu faire? Un statuaire peut tailler un morceau de bois dans la forme qu'il lui plaît : il en fera un Ésope ou un Antinoüs; mais il ne changera jamais la nature inhérente du bois; certains vices dominants et certaines vertus resteront toujours à chaque peuple. Si donc les Romains nous paraissent plus vertueux sous les Antonins que sous les Tibères, c'est que les crimes étaient sévèrement punis; le vice n'osait lever sa tête impure; mais les vicieux n'en subsistaient pas moins. Les souverains donneront un certain vernis de politesse à leur nation; ils maintiendront les lois dans leur vigueur, et les sciences dans la médiocrité : mais ils n'altéreront jamais l'essence des choses; ils n'ajoutent que quelque nuance passagère à la couleur dominante du tableau. C'est ce que nous avons vu de nos jours en Russie. Pierre Ier fit couper la barbe à ses Moscovites; il leur ordonna de croire à la procession du Saint-Esprit; il en fit habiller quelquesuns à la française; on leur apprit même des langues : cependant on distinguera encore longtemps les Russes des Français, des Italiens, et des autres nations de l'Europe. Il n'y a, je crois, que la dévastation entière des États, et leur repeuplement par des colonies étrangères, qui puissent produire un changement total dans l'esprit d'un peuple : mais qu'on y prenne bien garde, ce n'est dès lors plus la même nation; et il resterait encore à savoir si l'air et la nourriture ne