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ÉPITRE SUR LE HASARD. A MA SŒUR AMÉLIE.

Non, vous ne croyez point que l'humaine misère
Attire les regards du
Dieu qui nous éclaire;
Et c'est avec raison : de sa félicité
Rien ne peut altérer l'impassibilité.
Ce Dieu, sourd à nos vœux, ignore nos demandes,
Et lorsque ses autels fument de nos offrandes,
Insensible aux parfums dont on vient l'encenser,
Sans daigner nous punir, sans nous récompenser,
A d'aussi vils objets loin d'attacher sa vue,
Ne gouvernant qu'en grand cette masse étendue
Et ces globes nombreux qui flottent dans les airs,
Aux primitives lois il soumet l'univers.
Mais quelle, direz-vous, est la source féconde
Des destins différents que l'homme a dans le monde?
Si Dieu ne prévoit rien, s'il n'a rien résolu,
S'il n'étend point sur nous son pouvoir absolu,
De ce nombre infini de fortunes diverses,
De succès, de revers, de grandeurs, de traverses,
Qui de nos tristes jours remplissent le courant,
L'homme serait-il seul le puissant artisan?