<118>Plus recherché, plus rare et plus flatteur,
Que ses exploits lui sont dus sans partage;
Par sa valeur surmontant le danger,
Elle dédaigne un secours étranger.
Si tout concourt à sa solide gloire,
Il manquera pourtant à son histoire
Un grand poëte, un célèbre artisan,
Comme il en fut aux bords de l'Éridan.
Combien de noms bien dignes de mémoire
Sont peu connus dans ce vaste univers!
Un exploit perd, s'il n'a, pour le répandre,
Un fier prôneur qui le vante en beaux vers.
A tout propos on nous cite Alexandre,
Sans rappeler les faits d'un conquérant
Aussi rapide, et dans le fond plus grand,
Qui subjugua lui seul l'Asie entière.
Si l'on néglige à ce point Tamerlan,
C'est qu'il ne put trouver dans le Levant,
Pour relever sa vertu guerrière,
Un Quinte-Curce, un Virgile, un Homère.
Ce Tamerlan se trouvait dans le cas
Où vos exploits seront réduits, ma chère;
Pour les chanter vous ne trouverez pas
Un Arioste, un Dryden, un Voltaire.
De ces grands saints je suis l'humble valet,
Et leur trompette en mes mains est sifflet.
Quel prix auront des vers welches, tudesques,
Sans élégance, encor moins pittoresques,
Et réprouvés par l'abbé d'Olivet?a
Un rimailleur rebuté d'un puriste
A devant lui la perspective triste


a L'abbé d'Olivet, dans la nouvelle édition de son Traité de la prosodie française, 1766, avait critiqué le Roi sur le mot crêpe, dont ce dernier avait retranché le final dans une pièce imprimée parmi les Œuvres du Philosophe de Sans-Souci. Voyez t. XI, p. 172. Voyez aussi la lettre de Voltaire à Frédéric, du 5 janvier 1767, et la lettre de Voltaire à l'abbé d'Olivet, de la même date.