<192>Le nom de l'amitié, pour moi saint et sacré,
Ne doit point décorer qui l'a déshonoré;
Mais tous ces grands, nourris dans un pouvoir suprême,
Réservent leur amour et leurs soins pour eux-même;
Le ciel semble avoir fait à chaque souverain
Des entrailles de fer, avec un cœur d'airain.
Qu'ils apprennent au moins, ou qu'un d'entre eux m'explique
Quel principe inconnu règle leur politique,
Et comment de sang-froid ils ont pu regarder
Ce torrent orageux qui va tout inonder,
Dévaster les États, en effacer la trace,
Qui, même voisin d'eux, d'assez près les menace
D'un sort non moins funeste et plus injurieux.
Ce n'était pas ainsi que pensaient leurs aïeux,
Pourquoi, lorsque autrefois l'Autriche avec la France
Disputaient pour ravir une dépouille immense
Des champs ibériens avec des héritiers,
A peine remplissaient les camps de leurs guerriers,
Que l'Europe agitée, émue à ces alarmes,
Par des efforts soudains parut d'abord en armes,
Mesura ses secours, et par un juste choix
Rétablit l'équilibre et protégea les rois.
Si de ses libertés elle prit la défense,
Si sa main put alors redresser la balance
Qu'un souverain puissant fait pencher à son gré,
Le mal ne parut pas autant désespéré
Que le danger présent dont l'aspect la menace.
Que de rois conjurés, que d'orgueil, que d'audace!
Ce fier quadromvirat, ardent à m'opprimer,
Que la haine fomente et semble envenimer,
Si je succombe un jour, prêt à tout entreprendre,
Sans rencontrer de rois qui puissent se défendre,
D'un fantôme de guerre arborant les apprêts,
Gouvernera l'Europe en dictant ses arrêts.
Voilà dans l'avenir ce que tout œil peut lire;
L'exemple du passé suffit pour nous instruire.
Peuples trop amoureux de votre oisiveté,