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ÉPITRE SUR MA CONVALESCENCE.

O brillant rayon d'espérance!
O divine convalescence!
Tu finis ces moments affreux
De maux, de tourments, de souffrance;33-a
Tu délivras un malheureux
Des supplices que lui prépare
La douleur, ce tyran barbare,
Pour lui rendre l'éclat des cieux.
J'éprouvais de cent maux le mélange bizarre,
Je sentais les tourments des gouffres du Ténare;
Alecton, s'attachant à mon corps décharné,
Sur un triste grabat me tenait enchaîné.
Tout ce que des tyrans raffinés dans les vices
Ont jamais inventé de plus cruels supplices,
Ces monstres, de mes maux barbares artisans,
Les exerçaient sans interstices
Sur mes membres perclus, à peine palpitants.
La nature à mes yeux paraissait se soustraire
A mes organes défaillants,
Animés d'un souffle précaire;
<28>Je semblais isolé dans ce triste univers;
Ce qui peut soulager, ou consoler, ou plaire,
Devenait impuissant dans ces tourments d'enfers.
Quinze fois le soleil, fournissant sa carrière,
Au globe qu'il attire a rendu la lumière,
Quinze fois, sur son char d'ébène marqueté,
La nuit a répandu sa sombre obscurité,
Sans que le doux sommeil vînt clore ma paupière.
Ma vigueur affaiblie à tant de maux cédait,
Des fantômes confus dérangeaient ma pensée,
Mes sens étaient vaincus, et mon âme éclipsée
Dans peu m'abandonnait.
Près des bords d'Achéron, de la barque fatale,
Un vrai fils d'Esculape,34-a armé pour mon secours,
M'arrache avec effort de la rive infernale,
Et vient de prolonger mes jours.
Santé, que l'on ne connaît guère
Dans les plaisirs, les jeux, les ris,
Et qu'insulte souvent la vigueur téméraire,
C'est ta privation qui fait sentir ton prix.
O moment enchanteur! ô seconde naissance!
Je revis donc pour mes amis;
Un moment m'a rendu l'espoir, la jouissance
De tous les biens auxquels les mortels sont admis;
Je vous reverrai donc, moments remplis de charmes.
O sœur, à qui mes maux ont coûté tant de larmes!
O sœur, mon espoir, mon appui!
Vous m'écrivez, mon mal a fui.
Ah! si je vis, si je respire,
Si je suis délivré de mon cruel martyre,
Amitié, doux lien si peu connu des rois,
C'est à toi seul que je le dois.
Encor je jouirai de votre amitié tendre,
Je pourrai resserrer ces fidèles liens,
<29>Vous voir, vous parler, vous entendre,
Profiter de vos entretiens.
A quoi pourrais-je plus prétendre?
Ce sont là mes suprêmes biens.
Et vous, beaux-arts, qui dans tout âge
Couronnez le bonheur du sage,
Malgré tous les assauts que l'enfer en courroux
M'a livrés dans sa sombre rage,
Relevé du tombeau, je vis encor pour vous.
Mont révéré, mont où j'honore
Les chastes filles d'Apollon,
Je pourrai te revoir encore;
Et, baissant ma lyre d'un ton,
Au lieu de célébrer l'aurore
Et l'appareil pompeux d'un beau soleil levant,
Je saurai destiner mon chant
A vanter la douceur d'un soleil qui colore
De ses derniers rayons les rives du couchant.
Ainsi nous peignons les images
Des objets qui frappent nos sens.
Lorsque j'étais dans mon printemps,
Je ne pouvais chanter que les amours volages;
A présent, je gémis des funestes ravages
Des soucis, des maux et des ans.
Tout doit se succéder, chaque chose a son temps.
Mais aux noires vapeurs ne soyons point en proie :
Nos jours ne durent qu'un moment;
Si ce moment est plein de joie,
Il s'écoule plus doucement.
Vivons autant que va le fuseau de la Parque;
J'oublie et Caron, et sa barque.
Illusions, douces erreurs,
Semez encor de quelques fleurs
Le bout de ma longue carrière,
Et que la Volupté, me fermant la paupière,
Sur mon tombeau verse des pleurs.
Ainsi, sans que mon âme éprouve des terreurs,
<30>Tranquille entre les bras de la philosophie,
De l'hiver de mes ans supportant les rigueurs,
Je verrai s'écouler les restes de ma vie,
Et j'attends sans peur qu'Atropos,
Tranchant mon fil de ses ciseaux,
Change soucis, douleurs et peines,
Erreurs, projets et grandeurs vaines,
En éternité de repos.

Le 3 d'avril 1770.


33-a Voyez la pièce précédente, qui est probablement, comme celle-ci, du 3 avril 1770, et les lettres de Frédéric à d'Alembert, de la même date et du 17 mai suivant. Voyez aussi sa lettre à Fouqué, du 6 mai 1770.

34-a Le Roi veut sans doute parler de son premier médecin ordinaire, le conseiller intime Chrétien - André Cothenius, élève de Frédéric Hoffmann, né à Anclam le 14 février 1708, mort à Berlin le 5 janvier 1789.