<37>

19. DE LA MARQUISE DU CHATELET.

Versailles, 25 avril 1740.



Monseigneur,

J'envoie enfin à Votre Altesse Royale mon Essai de métaphysique; je souhaite et je crains presque également qu'elle ait le temps de le lire. Vous serez peut-être aussi étonné de le trouver imprimé que j'en suis honteuse; les circonstances qui l'ont rendu public seraient trop longues à expliquer à V. A. R. J'attends, pour savoir si je dois m'en repentir ou m'en applaudir, ce que V. A. R. en pensera. Je me souviens qu'elle a fait traduire sous ses yeux la Métaphysique de Wolff, et qu'elle en a même corrigé quelques endroits de sa main;a ainsi j'imagine que ces matières ne lui déplaisent point, puisqu'elle a daigné employer quelque partie de son temps à les lire.

V. A. R. verra par la préface que ce livre n'était destiné que pour l'éducation d'un fils unique que j'ai, et que j'aime avec une tendresse extrême. J'ai cru que je ne pouvais lui en donner une plus grande preuve qu'en tâchant de le rendre un peu moins ignorant que ne l'est ordinairement notre jeunesse; et, voulant lui apprendre les éléments de la physique, j'ai été obligée d'en composer une. n'y ayant point en français de physique complète, ni qui soit à la portée de son âge. Mais comme je suis persuadée que la physique ne peut se passer de la métaphysique, sur laquelle elle est fondée, j'ai voulu lui donner une idée de la métaphysique de M. de Leibniz, que j'avoue être la seule qui m'ait satisfaite, quoiqu'il me reste encore bien des doutes.

L'ouvrage aura plusieurs tomes, dont il n'y en a encore que le premier qui soit commencé à imprimer. Je crois qu'il paraîtra vers la Pentecôte, et je prendrai la liberté d'en présenter un exemplaire à V. A. R., si elle est contente de ce que j'ai l'honneur de lui envoyer aujourd'hui.

Je m'aperçois que ma lettre est déjà très-longue, et que je n'ai point encore parlé à V. A. R. de ma reconnaissance de la boîte charmante qu'elle m'a fait la grâce de m'envoyer. Je n'ai jamais


a Voyez t. XVI, p. 298.