2. A LA MARQUISE DU CHATELET.

(Rheinsberg, octobre 1738.)



Madame,

Si j'ai pu vous obliger par l'encrier que j'ai pris la liberté de vous offrir, j'en ai été récompensé suffisamment par la lettre que vous me faites le plaisir de m'écrire. Je me trouve extrêmement flatté des sentiments avantageux que vous témoignez sur mon sujet, et je craindrais fort qu'une partie n'en disparût, si j'étais assez heureux pour vous voir. Il faut que le digne Voltaire vous ait connue, madame, lorsqu'il composa sa Henriade, et je jurerais presque que le caractère de la reine Élisabeth d'Angleterre est tracé d'après le vôtre. En effet, on ne trouve nulle part en Europe, ni dans le monde entier, de dame dont l'esprit solide ait pu produire des ouvrages sur des matières aussi profondes que celles que vous traitez en vous jouant. J'espère de les admirer <5>plus en détail, ces excellents ouvrages, lorsque je tiendrai de votre faveur les deux dissertations dont vous avez honoré l'Académie. Il ne me convient point de m'ériger en juge, mais il peut me convenir d'interroger. Je me tiendrai honoré de vos instructions; puissé-je en recevoir sur toutes sortes de sujets! Fontenelle dit que les hommes font des fautes, et que les grands hommes les avouent. M. de Voltaire ne dément ce caractère en quoi que ce soit. J'ai hasardé des doutes que j'avais sur quelques vers de ses Épîtres, et il les corrige. Il faut avoir autant de supériorité qu'il en a sur le reste des hommes pour avoir autant de condescendance. Vous connaissez son mérite, et j'ose m'adresser à vous, madame, pour l'assurer que je le compte au rang de mes vrais amis, c'est-à-dire que je me fie à sa sincérité.

Que vous êtes heureuse, madame, de posséder un homme unique comme Voltaire, avec tous les talents que vous tenez de la nature! Je me sentirais tenté d'être envieux, si je n'abhorrais l'envie; mais je sens bien que je ne pourrai m'empêcher d'être de vos admirateurs. Je sais que vous enchantez les personnes par vos grâces, et que vous les surprenez par la profondeur de vos connaissances. J'ai vu de vos vers charmants, je viens de recevoir de votre prose; mais malheureux qui ne vous entretient que par lettres, et qui ne vous connaît qu'à la distance d'une centaine de lieues! J'en dirais bien davantage, si je ne craignais de vous importuner et de vous ennuyer, ainsi que ces acteurs qui jasent comme des pies borgnes, et qui récitent des tirades de deux cents vers d'arrache-pied sur le théâtre; et je sens trop que ma lettre ne pourrait vous dédommager d'un quart d'heure de conversation avec Voltaire, dont la maladie me touche vivement. Je vous quitte, madame, pour lui écrire, vous assurant que je suis avec toute l'estime qui vous est due, et qu'on ne saurait vous refuser,

Votre très-affectionné ami et admirateur.