44. DE M. JORDAN.

Berlin, 11 mars 1741.



Sire,

La lettre dont il a plu à Votre Majesté de m'honorer est divine. Que cette philosophie est belle! Qu'il est rare de voir quelqu'un <94>parler contre l'ambition quand il marche heureusement dans le chemin de la gloire! Qu'il y a de réflexions à faire sur le caractère du conquérant et sur ses peines! Mais je me souviens de la réflexion que fit un philosophe héros après avoir entendu certain prédicateur, et je me tais.

Vous aspirez, dit-on, à la dignité impériale, et la confession de foi de V. M. a été remise au saint-père. Cette nouvelle est des pays étrangers. En voici de la ville, ou plutôt de mon cabinet où des nouvellistes les débitent depuis que je ne sors point.

M. Borcke l'adjudant est allé à Vienne pour traiter. A l'ouïe de pareille nouvelle, il sort involontairement de ma bouche une prière éjaculatoire pour que la paix se fasse. Je crains, ma foi, autant le courage de V. M. que l'ennemi que vous combattez.

La chambre des communes condamne le campement fait à Hanovre, et ne veut en rien y contribuer. Je trouve qu'elle a raison, parce qu'on ne gagne guère à combattre.

M. de Brackel offre de parier contre qui voudra la somme de cent louis que la paix sera faite en trois mois de temps. Si je pouvais l'accélérer en sacrifiant toute ma bibliothèque, j'y mettrais le feu avec autant de zèle qu'Érostrate le mit au temple d'Éphèse. Mon Horace, mon bel Horace y passerait, je le jure.

On dit ici une nouvelle bien triste, que M. de Reiswitz a été enlevé. Je souhaite que cette nouvelle soit fausse.

M. de Maupertuis part demain pour aller se mettre aux pieds de V. M. Comme ma santé commence à se rétablir, j'attends les ordres de V. M. pour avoir la consolation de voir le plus cher et le plus aimable des maîtres.

Il vient d'arriver un courrier qui annonce la reddition de Glogau; cette nouvelle m'a comblé de joie.

J'ai l'honneur d'être avec un très-profond respect, etc