<194>belles connaissances, entre autres, un professeur de grec qui m'a semblé avoir plus de jugement et de goût qu'il n'est commun d'en rencontrer dans les savants de notre nation. Mais, dans la foule, j'en ai déterré un qui n'aurait pas échappé à Molière, s'il avait vécu de son temps. Cet homme admirableb m'a dit avec une gravité magistrale qu'il avait accouché de soixante volumes in-folio, et qu'il en avait publié deux tous les trois mois. Je lui dis : « Mais, monsieur, vous possédez donc la science universelle? - Aussi fais-je, repartit-il. - Mais, monsieur, tous les trois mois deux volumes in-folio! Y pensez-vous bien? Je n'aurais pas le temps de les écrire; et comment donc avez-vous pu les composer? - Cela partait de là, me dit-il, mettant le doigt sur son front. » Un de ses confrères charitables ajouta : « Et du dictionnaire de Bayle, de Moréri, de Chambers, et de tous les dictionnaires connus, que monsieur a fondus ensemble. - Oui, je les ai refondus ensemble, dit le savant; mais je les ai rendus excellents, car je les ai corrigés tous. »

Puisse le ciel, madame, vous et moi nous préserver, cette année et toutes les autres de notre vie, d'auteurs qui sont pères de soixante volumes in-folio! J'en ai jusqu'à ce moment-ci l'imagination si frappée, que je tremble à l'aspect d'un livre, à moins que ce ne soit un in-douze.

Je vous demande votre indulgence ordinaire en faveur des balivernes que je vous mande. J'ai cru que, dans le temps qui court, c'étaient les seules nouvelles qu'on pouvait mander et recevoir sans causer des sensations désagréables. Daignez me passer l'histoire des professeurs en faveur du sincère attachement avec lequel je suis à jamais,



Madame,

Votre fidèle cousin, ami et serviteur,
Federic.


b Frédéric parle ici de Gottsched, à qui il avait adressé une Épître en 1757. Voyez t. XII, p. 93. Voyez aussi t. X, p. 158.