<260>

197. DU MÊME.

Berlin, 3 novembre 1761.



Sire,

Je suis bien éloigné de croire que les événements particuliers n'influent pas infiniment sur le général des affaires; mais, depuis le commencement de cette guerre, j'ai adopté une maxime du Télémaque de M. de Cambrai pour en faire la base et le fondement de ma façon de penser.a « Avant que les accidents fâcheux arrivent, dit Mentor, il faut tout mettre en œuvre pour les prévenir; quand ils sont arrivés, il ne reste plus qu'à les mépriser. » Ce qui m'a fortifié dans cette façon de penser, c'est que j'ai toujours vu que nos plus grands revers ont été suivis des plus heureux événements. Tant que vous pourrez agir, j'aurai toujours bonne espérance, et, s'il ne vous restait que dix hommes et de la santé, je ne perdrais point l'espoir de voir à la fin échouer les projets des ennemis.

On a été à Berlin dans la plus grande surprise lorsqu'on a appris l'aventure arrivée à des officiers autrichiens, prisonniers à Magdebourg, dont on a découvert les conspirations; cela est épouvantable. Comment est-ce que des officiers qui ont donné leur parole d'honneur peuvent y manquer aussi indignement? Enfin, si tout ce que les lettres qui nous viennent de Magdebourg disent est bien véritable, il y a de quoi faire de sérieuses réflexions sur la police et sur la garde qu'on doit établir dans cette ville.

L'armée de M. de Soubise est enfin entrée en quartiers d'hiver.


a Fénélon, archevêque de Cambrai, fait dire à Mentor, au milieu du premier livre des Aventures de Télémaque : « Avant que de se jeter dans le péril, il faut le prévoir et le craindre; mais, quand on y est, il ne reste plus qu'à le mépriser. »