<286>Nestor; mais aussi suis-je grison, rongé de chagrin, accablé d'infirmités, et bon, en un mot, à être jeté aux chiens.

Votre nouvelle de Port-Mahon est fausse, mon cher, de même que celle des deux mille prisonniers du général Seydlitz. Je ne m'étonne point de ces bruits de ville; nous en avons ici également. Quand on remonte à leur source, on les perd comme les origines des grandes maisons. C'est à présent le moment pour les forgeurs de contes et les fabricateurs de nouvelles; pourvu qu'il n'y entre ni géant ni féerie, tout le reste peut être croyable, et bien peu de particuliers sauront débrouiller la vérité travestie en passant par tant de bouches. Vous m'avez toujours exhorté à me bien porter. Le moyen, mon cher, quand on est houspillé comme je le suis! Des oiseaux qu'on abandonne aux caprices des enfants, des toupies fouettées par des marmots, ne sont pas plus agités et plus maltraités que je ne l'ai été jusqu'ici par trois ennemies acharnées.

Adieu, mon cher; dès que j'aurai quelque nouvelle adoucissante, consolante et restaurante, je ne manquerai pas de vous la communiquer en gros; mais, si le contraire arrive, je vous le dirai de même. Puissé-je vous donner bientôt de bonnes nouvelles! Adieu encore; ne m'oubliez pas.

215. AU MÊME.

(Breslau) 2 février (1762).

Je vous écris deux mots pour vous féliciter, mon cher marquis, sur ce qu'à présent vous pourrez habiter en sûreté et en tout repos la bonne ville de Berlin. Nous sommes autant que débarrassés des peuples que les contrées hyperboréennes ont vomis sur nous.a Ce n'est pas bagatelle d'être délivré d'un tel fardeau, et il y a tout à espérer que, de ce côté-là, les affaires tourneront à souhait. J'espère que je pourrai, vers la fin de ce mois, vous mar-


a Peu après la mort de l'impératrice de Russie, le corps de Czernichew quitta l'armée de Loudon pour se retirer en Pologne. Voyez t. V, p. 183, 184 et 188.