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283. DU MARQUIS D'ARGENS.

Berlin, ao février 1763.



Sire,

Mon premier soin, en arrivant à Berlin, doit être de remercier Votre Majesté des bontés dont elle m'a honoré cet hiver à Leipzig. Mais je sais qu'elle hait autant les compliments qu'elle aime à faire le bien; ainsi je ne lui exprimerai que faiblement les sentiments de la respectueuse reconnaissance dont je suis pénétré.

J'ai trouvé la ville de Berlin dans une joie qui ne peut être exprimée, mais qui cependant sera encore augmentée lorsque vous y arriverez. La paix a répandu un air de gaieté sur tous les visages, et vous croirez, lorsque vous reverrez les bons Berlinois, qu'ils sont tous des Sybarites enivrés de plaisirs, et qu'ils n'ont jamais connu les chagrins, si fort ils ont oublié ceux que leur a causés la guerre.

V. M. ne m'accusera plus de paresse; j'ai fait le voyage de Leipzig à Berlin dans deux jours, pendant lesquels j'ai couru nuit et jour, sans sortir de mon carrosse. Je partis quatre heures après V. M., malade, souffrant des douleurs. A peine fus-je à une lieue de Leipzig, que je me trouvai beaucoup mieux, et l'envie de revoir notre sainte terre de Brandebourg acheva de me guérir. Lorsque j'eus passé un certain petit ruisseaua qu'on me dit séparer la Saxe du Brandebourg, je fis comme les juifs quand ils arrivent à la vue de Jérusalem, et je louai le Seigneur d'être dans le pays des élus et des enfants de Dieu. En vérité, Sire, vous avez bien fait de faire la paix; grâce à elle, j'espère que les plus longs voyages que je ferai le reste de ma vie seront de Potsdam à Berlin. C'est à vous, qui avez dompté l'Europe, à la parcourir, si bon vous semble; pour moi, je suis bien content de borner mes courses à aller du château de Potsdam à celui de Sans-Souci. Je voudrais, Sire, vous y voir déjà jouir de la gloire immortelle que vous vous êtes acquise; mais, après avoir pris patience sept ans, je puis bien la prendre encore cinq semaines. Cependant, Sire, ce temps me paraîtra bien long, ainsi


a La Nieplitz, près de Treuenbrietzcn.