<74>de mon ancienne bonne humeur reviennent de temps en temps; mais ce sont des étincelles qui s'évanouissent, faute d'un brasier qui les nourrisse; ce sont des éclairs qui percent des nuages orageux et sombres. Je vous parle vrai; si vous me voyiez, vous ne reconnaîtriez plus les traces de ce que je fus autrefois. Vous verriez un vieillard grisonnant, privé de la moitié de ses dents, sans gaieté, sans feu, sans imagination, et moins que les vestiges de Tusculum, dont les architectes ont fait tant de plans imaginaires, faute de ruines qui leur indiquent les fonds de la demeure de Cicéron. Voilà, mon cher, les effets moins des années que des chagrins; voilà les tristes prémices de la caducité que l'automne de notre âge nous amène infailliblement. Ces réflexions, qui me rendent très-indifférent pour la vie, me mettent précisément dans les dispositions où doit être un homme destiné à se battre à outrance; avec ce détachement de la vie, on se bat de meilleur cœur, et l'on quitte ce séjour sans regret. Pour vous, mon cher, qui n'êtes point dans cette carrière de sang, conservez votre bonne humeur jusqu'à ce qu'un juste sujet d'affliction vous arrive, et mortifiez nos ennemis par votre plume, pendant que, de mon côté, j'emploierai le peu de talents que j'ai pour les confondre à grands coups d'épée et de canon. Adieu, cher marquis; que le ciel vous conserve en paix et sous sa sainte garde!

61. DU MARQIS D'ARGENS.

Berlin, 18 juin 1759.



Sire,

J'aurais eu l'honneur d'écrire plus tôt à Votre Majesté, si l'on pouvait venir à bout des imprimeurs; ces gens-là ne finissent jamais. J'ai suspendu pour quelques jours mes Mémoires de l'Académie des nouvellistes, parce que j'ai cru que je pouvais faire quelque chose de plus utile dans un goût sérieux. Voici deux Lettres sous le nom d'un ministre du saint Évangile. Dans la