<76>parce que je la garde pour mes Mémoires des nouvellistes; j'y travaillerai dès que j'aurai fait encore deux Lettres du ministre réfugié. J'ai l'honneur, etc.

62. AU MARQUIS D'ARGENS.

(Reich-Hennersdorf) juin 1759.

Vos deux Lettres, mon cher marquis, valent mieux qu'une bataille gagnée; cela est admirable. J'aurais seulement voulu que vous eussiez été instruit d'une anecdote à l'égard de la seconde : c'est que la France a fait déclarer à la république de Hollande qu'elle avait, à la vérité, intention de faire un débarquement en Angleterre, mais qu'il ne serait point question du prétendant. Cette petite inadvertance peut se corriger facilement, et il n'y a qu'à dire que la France, ne voulant pas nommer le prétendant, de crainte de rendre son entreprise odieuse, ne pouvait pourtant l'entreprendre qu'en sa faveur. Vous vous moquez, mon cher, et de moi, et de mon Bref du pape; le mettre en parallèle avec vos Lettres, c'est comparer une épigramme de Rousseau à l'Énéide de Virgile. Je sais me rendre justice, et mon cerveau glacé du Nord ne peut se comparer en aucune façon avec votre imagination provençale. Les grenouilles d'Aix ont l'esprit plus vif que mes chers compatriotes; nous n'osons prétendre à l'esprit; encore sommes-nous trop heureux, si, dans deux époques de notre vie, l'on nous trouve du bon sens. Vous avez des ailes, et je me traîne sur des béquilles. N'insultez point du haut de votre gloire à ma misère, et souffrez que je rampe sur vos pas dans une carrière que vous fournissez d'une course rapide.

Je ne trahirai point votre secret; vous savez que le premier vœu qu'on exige des politiques est adressé au dieu du mystère. Pour moi, malheureux, qui suis obligé par devoir de faire ce que veulent les autres, et jamais ce qui me plaît, j'ai appris à cette école l'art de contenir ma langue dans la barrière de mon