<93>

CHAPITRE IV.

Raisons politiques de la trêve. Guerre des Français et des Bavarois en Bohême. L'Espagne se déclare contre l'Autriche. Diète de l'Empire. Révolution en Russie. Diverses négociations.

Pour ne pas trop interrompre le fil des événements militaires, nous nous sommes contenté de ne toucher que succinctement les causes qui occasionnèrent cette espèce de suspension d'armes entre la Prusse et l'Autriche. Cette matière est délicate; la démarche du Roi était scabreuse; il est nécessaire d'en développer les motifs les plus secrets : le lecteur nous pardonnera de reprendre les choses d'un peu plus haut afin de les éclaircir davantage.

Le but de la guerre que le Roi avait entreprise, était de conquérir la Silésie : s'il prit des engagements avec la Bavière et la France, ce n'était que pour remplir ce grand objet; mais la France et ses alliés visaient à des fins toutes différentes. Le ministère de Versailles était dans la persuasion que c'en était fait de la puissance autrichienne, et qu'on allait la détruire pour jamais. Il voulait élever sur les ruines de cet empire quatre souverains dont les forces pourraient se balancer réciproquement, à savoir : la reine de Hongrie, qui garderait ce royaume, l'Autriche, la Styrie, la Carinthie et la Carniole; l'électeur de Bavière, maître de la Bohême, du Tyrol et du Brisgau; la Prusse, avec la Basse-Silésie; enfin la Saxe, joignant la Haute-Silésie et la Moravie à ses autres possessions. Ces quatre voisins n'auraient jamais pu <94>se comporter à la longue; et la France se préparait à jouer le rôle d'arbitre, et à dominer sur des despotes qu'elle aurait établis elle-même : c'était renouveler les usages de la politique des Romains dans les temps les plus florissants de cette république.

Ce projet était incompatible avec la liberté germanique, et ne convenait en aucune manière au Roi, qui travaillait pour l'élévation de sa maison, et qui était bien éloigné de sacrifier ses troupes pour se former et se créer des rivaux. Si le Roi s'était rendu l'instrument servile de la politique française, il aurait forgé le joug qu'il se serait lui-même imposé; il aurait tout fait pour la France et rien pour lui-même; et peut-être Louis XV serait-il parvenu à réaliser cette monarchie universelle, dont on veut attribuer le projet chimérique à Charles-Quint. Ajoutons à ceci, puisqu'il faut tout dire, que si le Roi avait secondé avec trop de chaleur les opérations des troupes françaises, leur fortune excessive l'aurait subjugué; d'allié il serait devenu sujet; on l'aurait entraîné au delà de ses vues, et il se serait trouvé dans la nécessité de consentir à toutes les volontés de la France, faute d'y pouvoir résister, ou de trouver des alliés qui pussent l'aider à sortir de cet esclavage.

La prudence semblait donc exiger du Roi une conduite mitigée, par laquelle il établît une sorte d'équilibre entre les maisons d'Autriche et de Bourbon. La reine de Hongrie était au bord du précipice; une trêve lui donnait le moyen de respirer, et le Roi était sûr de la rompre quand il le jugerait à propos, parce que la politique de la cour de Vienne la pressait de divulguer ce mystère. Ajoutons, pour la plus grande justification du Roi, qu'il avait découvert les liaisons secrètes que le cardinal de Fleury entretenait avec M, de Stainville, ministre du grand-duc de Toscane à Vienne; il savait que le Cardinal était tout disposé à sacrifier les alliés de la France, si la cour de Vienne lui offrait le Luxembourg et une partie du Brabant : il s'agissait donc de manœuvrer adroitement, surtout de ne point se laisser prévenir par un vieux politique qui s'était joué, dans la dernière guerre, de plus d'une tête couronnée.

L'événement justifia bientôt ce que le Roi avait prévu de l'indiscrétion de la cour de Vienne : elle divulgua le prétendu traité <95>avec la Prusse en Saxe, en Bavière, à Francfort-sur-le-Main, et partout où elle avait des émissaires. Le comte de Podewils, ministre des affaires étrangères, avait été chargé, à son retour de la Silésie, de passer par Dresde pour sonder cette cour, qui avait marqué sans cesse beaucoup de jalousie et de mauvaise volonté pour tout ce qui intéressait la Prusse : il y trouva le maréchal de Belle-Isle furieux de ce qu'il venait d'apprendre d'un certain Koch, émissaire de la cour de Vienne, qui, après lui avoir fait des propositions de paix, que le maréchal rejeta, lui déclara que sa cour s'était à tout hasard accommodée avec le roi de Prusse. Bien plus, toute la ville de Dresde était inondée de billets qui avertissaient les Saxons de suspendre la marche de leurs troupes pour la Bohême, à cause que le roi de Prusse, réconcilié avec la reine de Hongrie, se préparait à faire une invasion en Lusace. La timidité ombrageuse du comte de Brühl fut rassurée par la fermeté hardie du comte de Podewils, et les Saxons marchèrent en Bohême. Sur ces entrefaites, l'électeur de Bavière communiqua au Roi une lettre de l'impératrice Amélie, qui l'exhortait à s'accommoder avec la reine de Hongrie avant le mois de décembre, vu que cette princesse se trouverait obligée de ratifier les préliminaires dont elle était convenue avec les Prussiens. Cette conduite de la cour de Vienne dégageait le Roi de tous ses engagements. On verra dans la suite de cet ouvrage que cette cour paya cher son indiscrétion.

La guerre avait souvent changé de théâtre pendant ces négociations : alors toutes les armées parurent s'être donné rendez-vous en Bohême. L'électeur de Bavière avait été à deux marches de Vienne; s'il eût avancé, il se serait trouvé aux portes de cette capitale, qui, mal fournie de troupes, ne lui aurait opposé qu'une faible résistance. L'Électeur abandonna ce grand objet, par l'appréhension puérile que les Saxons étant seuls en Bohême, pourraient conquérir ce royaume et le garder. Les Français, par une finesse mal entendue, s'imaginaient qu'en prenant Vienne le Bavarois deviendrait trop puissant; ils fortifièrent donc, pour l'en éloigner, sa méfiance contre les Saxons.

Cette faute capitale fut la source de tous les malheurs qui accablèrent ensuite la Bavière. Cette armée de Français et de <96>Bavarois fut partagée : on en donna quinze mille hommes à M. de Ségur, pour couvrir l'Autriche et l'Électorat; et l'Électeur, avec le gros de ses forces, s'empara de Tabor, de Budweis, et marcha droit à Prague, où les Saxons le joignirent, de même que M. de Gassion, les premiers venant de Lowositz, le dernier, de Pilsen. Le maréchal Törring et M. de La Leuville, qui commandaient à Tabor et Budweis, abandonnèrent ces villes à l'approche des Autrichiens; non seulement les ennemis y trouvèrent un magasin considérable, mais, par cette position qu'ils occupèrent, M. de Ségur se trouva coupé de l'armée de Bohême. M. de Neipperg et le prince de Lobkowitz, qui venaient tous deux de Moravie, se fortifièrent dans ce poste.

L'électeur de Bavière qui se trouvait alors devant Prague, ne pouvant l'assiéger dans les règles à cause de la rigueur de la saison, se détermina à la prendre par surprise. La place était d'une vaste enceinte; elle était défendue par une garnison trop faible; en multipliant le nombre des attaques, il fallait nécessairement qu'il se trouvât quelque endroit dans la ville sans résistance, et cela suffisait pour l'emporter. Prague fut donc assaillie par trois côtés différents. Le comte de Saxe107-a escalada l'angle flanqué du bastion Saint-Nicolas vers la Porte-Neuve; il fit baisser le pont-levis, et introduisit par cette porte la cavalerie, qui, nettoyant les rues, obligea la garnison d'abandonner la porte de Saint-Charles, que le comte Rutowski essayait vainement de forcer; il ne fit donner l'assaut qu'après que les ennemis eurent quitté le rempart. Les Autrichiens, accablés d'ennemis, furent contraints de mettre bas les armes. Une troisième attaque que M. de Polastron devait diriger, manqua tout à fait.

Le duc de Lorraine, grand-duc de Toscane, voulut alors se mettre à la tête des armées, et il s'avançait à grandes journées pour secourir Prague. A peine arrivé à Königssaal, il apprend que les alliés étaient déjà maîtres de cette ville. Ce fut pour lui comme un coup de foudre; il retourna avec précipitation sur ses pas; ce fut moins une retraite qu'une fuite. Les soldats se débandaient, pillaient les villages, et se rendaient par bandes aux <97>Français. MM. de Neipperg et de Lobkowitz se réfugièrent avec leurs troupes découragées derrière les marais de Budweis, Tabor, Neuhaus et Wittingau, camps fameux d'où Ziska, chef des hussites, avait bravé les forces de tous ses ennemis.

Le maréchal de Belle-Isle, que la sciatique avait retenu à Dresde tant que les affaires parurent critiques en Bohême, se rendit à Prague d'abord après sa reddition. Il détacha Polastron à Teutsch-Brod, le comte de Saxe à Pischelli, pour nettoyer les bords de la Sasawa; et d'Aubigné se porta sur la Wotawa avec vingt bataillons et trente escadrons. L'intention du maréchal était qu'il devait pousser jusqu'à Budweis; mais la circonspection de ce général l'arrêta à Pisek. Ainsi l'inactivité des généraux français donna aux Autrichiens le temps de respirer, et de se fortifier dans leurs quartiers. Le maréchal de Belle-Isle, plus flatté de la représentation de l'ambassade que du commandement des armées, manda au Cardinal que sa santé ne lui permettant pas de fournir aux fatigues d'une campagne, il demandait d'être relevé. Le Cardinal donna ce commandement au maréchal de Broglie,108-a affaibli par deux apoplexies; mais se trouvant à Strasbourg, dont il était gouverneur, il parut celui de tous les généraux qui pourrait joindre le plus vite l'armée de Bohême.

Dès son arrivée, le maréchal de Broglie se brouilla avec M. de Belle-Isle. Broglie changea toutes les dispositions de son prédécesseur : il rassembla une masse de troupes, avec lesquelles il se rendit à Pisek. Le Grand-Duc fit mine de l'attaquer : sa tentative fut inutile; Lobkowitz ne réussit pas mieux sur Frauenberg; enfin les Autrichiens, fatigués inutilement, retournèrent à leurs quartiers. Les Français, qui aimaient leurs commodités, trouvaient fort à redire de ce que les ennemis les inquiétassent si souvent : ils auraient bien voulu que les Prussiens se missent en avant pour les couvrir; mais il aurait fallu être imbécile pour souscrire à de telles prétentions. M. de Valori, qui était ministre de la France à Berlin, s'exhalait en plaintes : il prétendait que les Allemands, qui n'étaient bons qu'à se battre, devaient ferrailler contre les Autrichiens, pour donner du repos aux Français, qui leur <98>étaient supérieurs en toute chose. On l'écouta tranquillement, et à la fin il se lassa de ses vaines importunités.

Tant de puissances qui s'étaient alliées contre la maison d'Autriche, et qui voulaient se partager ses dépouilles, avaient excité la cupidité de princes qui jusqu'alors s'étaient tenus tranquilles. L'Espagne ne voulut pas demeurer oisive, tandis que tout le monde pensait à son agrandissement. La reine d'Espagne, qui était Parmesane, forma des prétentions sur cette principauté, et sur celle de Plaisance, qu'elle appelait son cotillon, pour y établir son second fils Don Philippe. Elle fit passer vingt mille Espagnols sous les ordres de M. de Montemar par le royaume de Naples, en même temps que Don Philippe, avec un autre corps, passait par le Dauphiné et la Savoie pour pénétrer en Lombardie. Ainsi un feu qui, dans son origine, ne parut qu'une étincelle en Silésie, se communiqua de proche en proche, et causa bientôt en Europe un embrasement universel.

Tandis que tant d'armées commettaient, les unes vis-à-vis des autres, plus de sottises que de belles actions, la diète de l'Empire assemblée à Francfort pour l'élection d'un Empereur, perdait son temps en frivoles délibérations; au lieu d'élire un chef, elle disputait sur des pourpoints ou sur des dentelles d'or que les seconds ambassadeurs prétendaient porter ainsi que les premiers. Cette diète était partagée en deux partis : les uns étaient partisans fanatiques de la reine de Hongrie, les autres étaient ses ennemis outrés. Les premiers voulaient le Grand-Duc pour Empereur, les autres voulaient avec une sorte d'obstination l'électeur de Bavière. La fortune, qui favorisait encore les armes des alliés, l'emporta, et leur parti gagna enfin l'ascendant qu'ont les heureux. La diète de Francfort cependant n'avançait guère.

Pour se faire une idée de cette assemblée et de la lenteur de ses délibérations, il ne sera pas inutile d'en donner une esquisse. La bulle d'or est regardée comme la loi fondamentale de l'Allemagne; c'est sur elle qu'on provoque en toute occasion, et s'il y a des chicanes, elles naissent de la façon de l'expliquer. Les princes choisissent donc les docteurs les plus instruits de cette loi, les pédants les plus lourds et les plus consommés dans les vétilles de la formalité, pour les envoyer comme leurs représentants à ces <99>assemblées générales. Ces jurisconsultes discutent sur la forme des choses, et ont l'esprit trop rétréci pour envisager les objets en grand; ils sont enivrés de leur représentation et pensent avoir la même autorité dont cet auguste corps jouissait du temps de Charles de Luxembourg. Enfin dans cette diéte, au 1er de décembre de l'année 1741, on était aussi peu avancé qu'on l'avait été avant la convocation de cette illustre assemblée. Si les Autrichiens avaient eu quelques succès par leurs armes, le Grand-Duc aurait emporté la pluralité des voix; il fallait donc, dans ces conjonctures, brusquer l'élection, pour profiter de la supériorité des suffrages, et empêcher, par l'élévation d'une nouvelle maison au trône impérial, que cette dignité ne devînt héréditaire dans la nouvelle maison d'Autriche. Pour acheminer les choses à ce but, le Roi proposa de fixer un terme pour le jour de l'élection : cet expédient fut approuvé, et la diète fixa pour ce grand acte le 24 de janvier de l'année 1742.

Cette diète et ses délibérations faisaient moins d'impression sur le roi d'Angleterre que ce qui le touchait de plus près; la crainte qu'il avait de cette armée de Maillebois qui menaçait son électorat, fut si vive, qu'il se résolut à faire le suppliant à Versailles pour garantir ses possessions. Il y envoya comme son ministre M. de Hardenberg, pour signer un traité de neutralité avec la France. Le cardinal de Fleury demanda au Roi ce qu'il augurait de cette négociation : ce prince lui répondit qu'il était dangereux d'offenser à demi, et que quiconque menace doit frapper. Le Cardinal, plus patelin que ferme, n'avait pas un caractère assez mâle pour prendre des partis décisifs; il croyait ne rien donner au hasard en maintenant les choses en suspens : il signa ce traité. Ces tempéraments et cette conduite mitigée ont souvent nui aux affaires de la France; mais la nature dispense ses talents à son gré : celui qui a reçu pour lot la hardiesse, ne saurait être timide, et celui qui est né avec trop de circonspection, ne saurait être audacieux.

Cette année était comme l'époque des grands événements. Toute l'Europe se trouvait en guerre pour partager les parties d'une succession litigieuse; on s'assemblait pour élire un Empereur d'une autre maison que de celle d'Autriche, et en Russie on <100>détrônait un jeune empereur encore au berceau : une révolution plaça la princesse Élisabeth sur ce trône. Un chirurgien,111-32 Français de naissance, un musicien, un gentilhomme de la chambre, et cent gardes Preobrashenskii corrompus par l'argent de la France, conduisent Élisabeth au palais impérial : ils surprennent les gardes et les désarment; le jeune empereur, son père, le prince Antoine de Brunswic, et sa mère, la princesse de Mecklenbourg, sont arrêtés. On assemble les troupes; elles prêtent le serment à Élisabeth, qu'elles reconnaissent pour leur impératrice; la famille malheureuse est enfermée dans les prisons de Riga; Ostermann, après avoir été traité avec ignominie, est exilé en Sibérie : tout cela n'est l'ouvrage que de quelques heures. La France, qui espérait profiter de cette révolution qu'elle avait amenée, vit bientôt après ses espérances s'évanouir.

Le dessein du cardinal de Fleury était de dégager la Suède du mauvais pas où il l'avait engagée. Il crut qu'un changement de règne en Russie rendrait le nouveau souverain facile à conclure une paix favorable à la Suède : dans cette vue, il avait envoyé un nommé d'Avennes avec des ordres verbaux au marquis de la Chétardie, ambassadeur à Pétersbourg, afin qu'il employât tous les moyens possibles à culbuter la Régente et le Généralissime. De telles entreprises, qui paraîtraient téméraires dans d'autres gouvernements, peuvent quelquefois s'exécuter en Russie : l'esprit de la nation est enclin aux révoltes; les Russes ont cela de commun avec les autres peuples, qu'ils sont mécontents du présent, et qu'ils espèrent tout de l'avenir. La Régente s'était rendue odieuse par les faiblesses qu'elle avait eues pour un étranger, le beau comte de Lynar, envoyé de Saxe; mais sa devancière, l'impératrice Anne, avait encore plus ouvertement distingué Biron, Courlandais et étranger comme Lynar : tant il est vrai que les mêmes choses cessent d'être les mêmes, quand elles se font en d'autres temps et par d'autres personnes. Si l'amour perdit la Régente, l'amour plus populaire dont la princesse Élisabeth fit sentir les effets aux gardes Preobrashenskii, l'éleva sur le trône. Ces deux princesses avaient le même goût pour la volupté. Celle de Mecklenbourg le couvrait du voile de la pruderie; <101>il n'y avait que son cœur qui la trahissait : la princesse Élisabeth portait la volupté jusqu'à la débauche. La première était capricieuse et méchante : la seconde dissimulée, mais facile; toutes deux haïssaient le travail, toutes deux n'étaient pas nées pour le gouvernement.

Si la Suède avait su profiter de l'occasion, elle aurait dû frapper quelque grand coup pendant que la Russie était agitée par des troubles intestins : tout lui présageait d'heureux succès; mais le destin de la Suède n'était point de triompher de ses ennemis. Elle demeura dans une espèce d'engourdissement pendant et après cette révolution; elle laissa échapper l'occasion, la mère des grands événements : la perte de la bataille de Poltawa ne lui fut pas plus fatale, qu'alors la molle inaction de ses armées.

Dès que l'impératrice Élisabeth se crut assurée sur le trône, elle distribua les premières places de l'empire à ses partisans : les deux frères Bestusheff, Woronzow et Trubetzkoi entrèrent dans le conseil; L'Estocq, le promoteur de l'élévation d'Élisabeth, devint une espèce de ministre subalterne, quoique chirurgien. Il était porté pour la France; Bestusheff, pour l'Angleterre : de là naquirent des divisions dans le conseil, et des intrigues interminables à la cour. L'Impératrice n'avait de prédilection pour aucune des puissances; mais elle se sentait de l'éloignement pour la cour de Vienne et pour celle de Berlin. Antoine-Ulric, le père de l'empereur qu'elle avait détrôné, était cousin germain de la reine de Hongrie, neveu de l'Impératrice douairière, et beau-frère du roi de Prusse; et elle appréhendait que les liens du sang ne fissent agir ces puissances en faveur de la famille sur la ruine de laquelle elle avait établi sa grandeur. Cette princesse, préférant sa liberté aux lois du mariage, trop tyranniques selon sa façon de penser, pour affermir son gouvernement appela son neveu, le jeune duc de Holstein, à la succession. Elle le fit élever à Pétersbourg en qualité de grand-duc de Russie.

Le public croit assez légèrement que les événements qui tournent à l'avantage des princes, sont les fruits de leur prévoyance et de leur habileté : par une suite de cette prévention, l'on soupçonna le Roi d'avoir trempé dans cette révolution qui arriva en Russie, mais il n'en était rien; le Roi n'eut aucune part à ce <102>détrônement, et n'en fut informé qu'avec le public. Quelques mois auparavant, lorsque le maréchal de Belle-Isle se trouvait au camp de Mollwitz, la conversation avait tourné sur le sujet de la Russie. Le maréchal parut très-mécontent de la conduite du prince Antoine et de sa femme, la Régente; et, dans un moment où sa colère s'allumait, il demanda au Roi s'il verrait avec peine qu'il se fît une révolution en Russie en faveur de la princesse Élisabeth, au désavantage du jeune empereur Iwan, qui était son neveu; sur quoi, le Roi répondit qu'il ne connaissait de parents parmi les souverains que ceux qui étaient ses amis. La conversation finit, et voilà tout ce qui se passa.

Berlin fut pendant cet hiver le centre des négociations. La France pressait le Roi de faire agir son armée; l'Angleterre l'exhortait à conclure la paix avec l'Autriche; l'Espagne sollicitait son alliance, le Danemark, ses avis pour changer de parti; la Suède demandait son assistance, la Russie, ses bons offices à Stockholm; et l'empire germanique, soupirant après la paix, faisait les plus vives instances pour que les troubles s'apaisassent.

Les choses ne restèrent pas longtemps dans cette situation. Les troupes prussiennes passèrent à peine deux mois dans leurs quartiers d'hiver. La destinée de la Prusse entraîna encore le Roi sur ce théâtre que tant de batailles devaient ensanglanter, et où les vicissitudes de la fortune se firent sentir tour à tour aux deux partis qui se faisaient la guerre. Le plus grand avantage que le Roi retira de cette espèce de trêve avec les Autrichiens, fut de rendre ses forces plus formidables. L'acquisition de la Silésie lui procura une augmentation de revenus de trois millions six cents milliers d'écus. La plus grande partie de cet argent fut employée à l'augmentation de l'armée : elle était alors de cent six bataillons et de cent quatre-vingt-onze escadrons, dont soixante de hussards. Nous verrons dans peu l'usage qu'il en fit.


107-a Qui devint maréchal de France en 1743.

108-a François-Marie duc de Broglie, fait maréchal de France en 1734, mort en 1745.

111-32 L'Estocq.