<122>que je n'y réussis que le lendemain. Les hommes font entrer un concours de certaines idées dans la composition de cet être qu'ils nomment le bonheur; s'ils ne possèdent qu'imparfaitement ou que quelques parties de cet être idéal, ils éclatent en plaintes amères, et souvent en reproches contre l'injustice du ciel, qui leur refuse ce que leur imagination leur adjuge si libéralement; c'est un sentiment qui se manifeste en moi. Vos lettres me causent tant de plaisir, lorsque j'en reçois, que je puis les ranger à juste titre sous ce qui contribue à mon bonheur. Vous jugerez facilement de là que n'en point recevoir doit être un malheur, et qu'en ce cas c'est vous seul qui le causez; je m'en prends quelquefois à Du Breuil-Tronchin,a quelquefois à la distance des lieux, et souvent même j'ose en accuser jusqu'à Émilie. Mais ne craignez pas que je veuille vous être à charge, et que, malgré le plaisir que je trouve à m'entretenir avec vous, mon importune amitié veuille vous contraindre; bien loin de là, je connais trop le prix de la liberté pour la vouloir ravir à des personnes qui me sont chères. Je ne vous demande que quelques signes de vie, quelques marques de souvenir, un peu d'amitié, beaucoup de sincérité, et une ferme persuasion de la parfaite estime avec laquelle je suis, etc.

35. DE VOLTAIRE.

Cirey, 20 décembre 1737.

Monseigneur, j'ai reçu, le 12 du présent mois, la lettre de Votre Altesse Royale, du 19 novembre. Vous daignez m'avertir, par cette lettre, que vous avez eu la bonté de m'adresser un paquet contenant des mémoires sur le gouvernement du czar Pierre Ier, et en même temps vous m'avertissez, avec votre prudence ordinaire, de l'usage retenu que j'en dois faire. L'unique usage que j'en ferai, monseigneur, sera d'envoyer à V. A. R. l'ouvrage rédigé selon vos intentions, et il ne paraîtra qu'après que vous y aurez


a Voyez ci-dessus, p. 48, 78 et 107.