<38>Et mon Alcibiade est trop loin de mes yeux.
C'est vous que j'aimerais, vous qui seriez mon maître.
Vous, contre la ciguë illustre et sûr appui,
Vous, sans qui tôt ou tard un Anytus, un prêtre.
Pourrait dévotement m'immoler comme lui.

Monseigneur, autrefois Auguste fit des vers pour Horace et pour Virgile; mais Auguste s'était souillé par des proscriptions. Charles IX fit des vers, et même assez jolis, pour Ronsard; mais Charles IX fut coupable d'avoir au moins permis la Saint-Barthélémy, pire que les proscriptions. Je ne vous comparerai qu'à notre Henri le Grand, à François Ier. Vous savez sans doute, monseigneur, cette charmante chanson de Henri le Grand pour sa maîtresse :a

Recevez ma couronne,
Le prix de ma valeur;
Je la tiens de Bellone,
Tenez-la de mon cœur.

Voilà des modèles d'hommes et de rois; et vous les surpasserez. M. de Borcke a ému mon cœur par tout ce qu'il m'a dit de V. A. R.; mais il ne m'a rien appris.

Vous sentez bien, monseigneur, que j'ai dû recevoir vos lettres très-tard, attendu mon voyage. Enfin, madame du Châtelet les a reçues avec le Socrate. Le sieur Thieriot aurait pu retirer le paquet à la poste plus tôt; mais M. Chambrier le retira, et, croyant que c'était votre portrait, il voulait, comme de raison, le garder. Émilie est au désespoir que ce ne soit que Socrate. Monseigneur, le palais de Cirey s'est flatté d'être orné de l'image du seul prince que nous comptions sur la terre. Émilie l'attend : elle le mérite, et vous êtes juste.

Le sieur Thieriot a encore cru que j'allais en Prusse. L'éclat de vos bontés pour moi l'a persuadé à beaucoup de monde. On inséra cette nouvelle dans les gazettes, il y a presque un mois. Mais, monseigneur, la pénétration de votre esprit vous aura fait deviner mon caractère; je suis sûr que vous m'aurez rendu la


a Voltaire parle de la fameuse chanson adressée par Henri IV à Gabrielle d'Estrées, et commençant par le vers :
     Charmante Gabrielle, etc.