<58>périssable ou non, toutes les vertus, tous les plaisirs et toutes les instructions dont elle est capable, de vivre en prince, en homme et en sage, d'être heureux et de rendre les autres heureux.

Je vous regarde comme un présent que le ciel a fait à la terre. J'admire que, à votre âge, le goût des plaisirs ne vous ait point emporté, et je vous félicite infiniment que la philosophie vous laisse le goût des plaisirs. Nous ne sommes point nés uniquement pour lire Platon et Leibniz, pour mesurer des courbes, et pour arranger des faits dans notre tête; nous sommes nés avec un cœur qu'il faut remplir, avec des passions qu'il faut satisfaire, sans en être maîtrisés.

Que je suis charmé de votre morale, monseigneur! Que mon cœur se sent né pour être le sujet du vôtre! J'éprouve trop de satisfaction de penser en tout comme vous.

V. A. R. me fait l'honneur de me dire, dans sa dernière lettre, qu'elle regarde le feu czar comme le plus grand homme du dernier siècle; et cette estime que vous avez pour lui ne vous aveugle pas sur ses cruautés. Il a été un grand prince, un législateur, un fondateur; mais, si la politique lui doit tant, quels reproches l'humanité n'a-t-elle pas à lui faire! On admire en lui le roi; mais on ne peut aimer l'homme. Continuez, monseigneur, et vous serez admiré et aimé du monde entier.

Un des plus grands biens que vous ferez aux hommes, ce sera de fouler aux pieds la superstition et le fanatisme, de ne pas permettre qu'un homme en robe persécute d'autres hommes qui ne pensent pas comme lui. Il est très-certain que les philosophes ne troubleront jamais les États. Pourquoi donc troubler les philosophes? Qu'importait à la Hollande que Bayle eût raison? Pourquoi faut-il que Jurieu, ce ministre fanatique, ait eu le crédit de faire arracher à Bayle sa petite fortune? Les philosophes ne demandent que de la tranquillité, ils ne veulent que vivre en paix sous le gouvernement établi; et il n'y a pas un théologien qui ne voulût être le maître de l'État. Est-il possible que des hommes qui n'ont d'autre science que le don de parler sans s'entendre et sans être entendus aient dominé et dominent encore presque partout?

Les pays du Nord ont cet avantage sur le midi de l'Europe,