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20. AU MÊME.

Amalthée, 14 mai 1737.a

Monsieur, je vous demande excuse de l'injustice que je vous ai faite, et à votre sincérité, dans ma dernière lettre. Je suis charmé de m'être trompé, et de voir que vous me connaissez assez pour vouloir relever les fautes que j'ai faites.

Je passe condamnation au sujet de mon ode. Je conviens de toutes les fautes que vous me reprochez; mais, loin de me rebuter, je vous importunerai encore avec quelques-unes de mes pièces, que je vous prierai de vouloir corriger avec la même sincérité. Si je n'y profite autrement, je trouve toujours ce moyen heureux pour vous escroquer quelques bons vers.

Les Grâces, qui partout accompagnent vos pas,
En prêtant à mes vers le tour qu'ils n'avaient pas,
Suppléent par leurs soins à mon peu de pratique,
Ornent de mille fleurs mon ode prosaïque,
Et font voir, par l'effet d'un assez rare effort,
Que ce que vous touchez se convertit en or.b

Je passe à présent à la philosophie. Vous suivez en tout la route des grands génies, qui, loin de se sentir animés d'une basse et vile jalousie, estiment le mérite où ils le rencontrent, et le prisent sans prévention. Je vous fais des compliments à la place de M. Wolff, sur la manière avantageuse dont vous vous expliquez sur son sujet. Je vois, monsieur, que vous avez très-bien compris les difficultés qu'il y a sur l'être simple. Souffrez que j'y réponde.

Les géomètres prouvent qu'une ligne peut être divisée à l'infini; que tout ce qui a deux côtés ou deux faces, ce qui revient au même, peut l'être également. Mais, dans la proposition de


a Ruppin, 20 mai 1737. (Variante des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 272.) Quant au nom d'Amalthée, voyez t. XVI, p. 360.

b Ces six vers, omis dans l'édition de Kehl, sont tirés des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 265. Quant à celui qui les termine, voyez t. XVI, p. 278, et ci-dessus, p. 48.