37. AU MÊME.

Berlin, 14 janvier 1738.149-a

Monsieur, vous me faites la plus jolie galanterie du monde. Je reçois un paquet sous mon adresse; je reconnais les cachets, j'ouvre, et je trouve Mérope. Je lis, je suis charmé, j'admire, et je suis obligé d'augmenter la reconnaissance que je vous dois, et que je ne croyais plus susceptible d'accroissement. Mérope est une des plus belles tragédies qu'on ait faites : l'économie de la pièce est menée avec adresse; la terreur croît de scène en scène; et la tendresse maternelle substituée à l'amour doucereux m'a charmé. J'avoue que la voix de la nature me paraît infiniment plus pathétique que celle d'une passion frivole. Les vers sont pleins de noblesse, les sentiments expliqués avec dignité; enfin la conduite de la pièce, l'expression des mœurs, la vraisemblance, le dénoûment, tout y est aussi heureusement amené qu'on peut le désirer. Il n'y a que vous au monde qui puissiez faire une pièce aussi parfaite que Mérope. J'en suis charmé, j'en suis extasié, et je ne finirais point, si ce n'était pour épargner votre modestie.

Si je ne puis vous payer avec une même monnaie, je ne veux <134>pas cependant ne vous point témoigner ma reconnaissance. Je vous prie, conservez la bague que je vous envoie comme un monument du plaisir que votre incomparable tragédie m'a causé. Si vous n'aviez jamais fait que Mérope, cette pièce suffirait seule pour faire passer votre nom jusqu'aux siècles les plus reculés. Vos ouvrages suffiraient pour immortaliser vingt grands hommes, dont aucun ne manquerait de gloire.

Vous m'avez obligé sensiblement par les attentions que vous me témoignez en toutes les occasions qui se présentent. Je reste toujours en arrière avec vous, et je m'impatiente de ne pouvoir pas vous témoigner toute l'étendue des sentiments pleins d'estime avec lesquels je suis, etc.

N'oubliez pas de faire mille amitiés de ma part à l'incomparable Émilie.

Il s'est trouvé quelques fautes de copiste dans Mérope; je les noterai, et je vous les enverrai par le premier ordinaire, pour vous prier de me les corriger.150-a

Césarion n'est pas encore arrivé; il faut avouer que l'amour est un grand maître.


149-a Dans l'édition de Kehl, cette lettre est datée du 14 janvier 1737; dans les Œuvres posthumes, t. X, p. 146-148, elle est sans date. Nous donnons le texte de l'édition de Kehl. et tirons la date de la traduction allemande des Œuvres posthumes, t. VIII, p. 127.

150-a Cet alinéa, omis dans l'édition de Kehl, est tiré des Œuvres posthumes, t. X, p. 148.