<174>Les nouvelles publiques m'ont mis de mauvaise humeur; je trouve que, comme vous n'êtes point à Paris, vous seriez tout aussi bien à Berlin qu'à Lunéville. Si madame du Châtelet est une femme à composition, je lui propose de lui emprunter son Voltaire à gage. Nous avons ici un gros cyclope de géomètrea que nous lui engagerons contre le bel esprit; mais qu'elle se détermine vite. Si elle souscrit au marché, il n'y a point de temps à perdre : il ne reste plus qu'un œil à notre homme, et une courbe nouvelle qu'il calcule à présent pourrait le rendre aveugle tout à fait avant que notre marché fût conclu. Faites-moi savoir sa réponse, et recevez en même temps de bonne part les profondes salutations que ma muse fait à votre puissant génie. Adieu.

227. DE VOLTAIRE.

Cirey, janvier 1749.

Le jeune d'Arnaud, qui, par ses mœurs et par son esprit, paraît digne de servir V. M.,b me manda, il y a quelque temps, que vous aviez daigné vous souvenir du plus ancien serviteur que vous ayez en France, et de l'admirateur le plus passionné que vous ayez en Europe; mais je ne suis pas né heureux. Je n'ai point reçu les ordres dont V. M. m'honorait; j'étais en Lorraine, à la cour du roi Stanislas. Je sais bien que tous les gens de bon sens demanderont pourquoi je suis à la cour de Lunéville, et non pas à celle de Berlin. Sire, c'est que Lunéville est près des eaux de Plombières, et que je vais là souvent pour faire durer encore quelques jours une malheureuse machine dans laquelle il y a une âme qui est toute à V. M. Je suis revenu de Lunéville à cet ancien Cirey, où vous m'avez donné tant de marques de vos bontés; où nous avons vu votre ambassadeur Keyserlingk, dont nous


a Léonard Euler. Voyez t. XX, p. XIX, et 219-235.

b Il était depuis huit mois le correspondant littéraire du Roi. Voyez t. XIV, p. VIII et 110.