<176>Je ne sais pas ce que pense Mustapha sur cette affaire; je pense qu'il ne pense pas, et qu'il vit à la façon de quelques Mustaphas de son espèce. Pour l'impératrice de Russie et la reine de Suède votre sœur, le roi de Pologne, le prince Gustave, etc., j'imagine que je sais ce qu'ils pensent. Vous m'avez flatté aussi que l'Empereur était dans la voie de la perdition; voilà une bonne recrue pour la philosophie. C'est dommage que bientôt il n'y ait plus d'enfer ni de paradis : c'était un objet intéressant; bientôt on sera réduit à aimer Dieu pour lui-même, sans crainte et sans espérance, comme on aime une vérité mathématique; mais cet amour-là n'est pas de la plus grande véhémence; on aime froidement la vérité.

Au surplus, votre abominable homme n'a point de démonstration, il n'a que les plus extrêmes probabilités; il faudrait consulter Ganganelli; on dit qu'il est bon théologien. Si cela est, les apparences sont qu'il n'est pas un parfait chrétien; mais le madré ne dira pas son secret; il fait son pot à part, comme le disait le marquis d'Argenson d'un des rois de l'Europe.

S'il n'y a rien de démontré qu'en mathématiques, soyez bien persuadé, Sire, que de toutes les vérités probables la plus sûre est que votre gloire ira à l'immortalité, et que mon respectueux attachement pour vous ne finira que quand mon pauvre et chétif être subira la loi qui attend les plus grands rois, comme les plus petits Velches.

428. A VOLTAIRE.

Potsdam, 4 décembre 1770.a

Je vous suis obligé des beaux versb annexés à votre lettre. J'ai lu le poëme de notre confrère le Chinois, qui n'est pas dans ce qu'on appelle le goût européen, mais qui peut plaire à Pékin.


a Le 5 décembre 1770. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 132.)

b Épître CXV. Au roi de la Chine, sur son recueil de vers qu'il a fait imprimer. Voyez Œuvres de Voltaire, édit. Beuchot, t. XIII, p. 277.