<214>J'ajouterai que j'ai vu ce phénomène il y a une vingtaine d'années, et que si je n'avais pas été un tant soit peu étourdi, je le verrais encore, et je figurerais dans votre Académie tout comme un autre. Mon cher Isaac a fort mal fait de vous quitter, messieurs; il a été sur le point de n'être pas enterré en terre sainte, ce qui est pour un mort la chose du monde la plus funeste, et ce qui m'arrivera incessamment; au lieu que, si j'étais resté parmi vous, je mourrais bien plus à mon aise, et beaucoup plus gaîment.

Quand vous aurez deviné quel est le héros dont je vous entretiens, ayez la bonté de lui présenter mes très-humbles respects, et l'admiration qu'il m'a inspirée depuis l'an 1736, c'est-à-dire depuis trente-six ans tout juste; or, un attachement de trente-six ans n'est pas une bagatelle. Dieu m'a réservé pour être le seul qui reste de tous ceux qui avaient quitté leur patrie uniquement pour lui. Vous êtes bien heureux qu'il assiste à vos séances; mais il y avait autrefois un autre bonheur, celui d'assister à ses soupers. Je lui souhaiterais une vie aussi longue que sa gloire, si un pareil vœu pouvait être exaucé.

450. A VOLTAIRE.

Sans-Souci, 22 avril 1772.a

Il ne s'est point rencontré de poëte assez fou pour envoyer de mauvais vers à Boileau, crainte d'être remboursé par quelque épigramme. Personne ne s'est avisé d'importuner de ses balivernes Fontenelle, ou Bossuet, ou Gassendi; mais vous, qui valez ces gens tous ensemble, vous ajoutez l'indulgence aux talents que ces grands hommes possédaient. Elle rend vos vertus plus aimables; aussi vous attire-t-elle la correspondance de tous les éphémères du sacré vallon, parmi lesquels j'ai l'honneur de me compter. Vous donnez l'exemple de la tolérance au Parnasse, en protégeant le poëme de Moukden et celui des Confé dérés; et, ce


a Le 18 avril 1772. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 165.)