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473. A VOLTAIRE.

Potsdam, 9 octobre 1773.

Je m'aperçois avec regret qu'il y a près de vingt ans que vous êtes parti d'ici; votre mémoire me rappelle à votre imagination tel que j'étais alors; cependant, si vous me voyiez, au lieu de trouver un jeune homme qui a l'air à la danse, vous ne trouveriez qu'un vieillard caduc et décrépit. Je perds chaque jour une partie de mon existence, et je m'achemine imperceptiblement vers cette demeure dont personne encore n'a rapporté de nouvelles.

Les observateurs ont cru s'apercevoir que le grand nombre de vieux militaires finissent par radoter, et que les gens de lettres se conservent mieux. Le grand Condé, Marlborough, le prince Eugène, ont vu dépérir en eux la partie pensante avant leur corps. Je pourrai bien avoir un même destin, sans avoir possédé leurs talents. On sait qu'Homère, Atticus, Varron, Fontenelle, et tant d'autres, ont atteint un grand âge sans éprouver les mêmes infirmités. Je souhaite que vous les surpassiez tous par la longueur de votre vie et par les travaux de l'esprit.

Sans m'embarrasser du sort qui m'attend, de quelques années de plus ou de moins d'existence, qui disparaissent devant l'éternité, on va inaugurer l'église catholique de Berlin. Ce sera l'évêque de Warmie qui la consacrera.a Cette cérémonie, étrangère pour nous, attire un grand concours de curieux. C'est dans le diocèse de cet évêque que se trouve le tombeau de Copernic, auquel, comme de raison, j'érigerai un mausolée. Parmi une foule d'erreurs qu'on répandait de son temps, il s'est trouvé le seul qui enseignât quelques vérités utiles. Il fut heureux : il ne fut point persécuté.

Le jeune d'Étallonde, lieutenant à Wésel, l'a été; il mérite qu'on pense à lui. Muni de votre protection et du bon témoignage que lui rendent ses supérieurs, il ne manquera pas de faire son chemin.

J'en reviens à ce roi de Pologne dont vous me parlez. Je sais que l'Europe croit assez généralement que le partage qu'on a fait


a Voyez t. XX, p. XI et XII, et p. 199-202.