<310>C'est Lucien, c'est Cicéron;
Et, s'il avait voulu, ce serait Épicure.
Dites-moi donc votre secret;
On veut faire votre portrait :
Qu'on peigne toute la nature.

Je viens enfin de recevoir des instructions très-sûres sur la singulière catastrophe de votre protégé. Ce serait en vérité une scène d'Arlequin, si ce n'était pas une scène de cannibales; c'est le comble du ridicule et de l'horreur. Rien n'est plus velche.

Non, Sire, je ne sortirai point de mon lit à l'âge de quatre-vingt deux ans pour aller à Versailles. Je jurai de n'y aller jamais, le jour que je reçus à Potsdam la lettre du ministre, M. de Puyzieulx, qui me manda que je ne pouvais garder ni ma place d'historiographe, ni ma pension. Je mourrai au pied des Alpes; j'aurais mieux aimé mourir aux vôtres.

A l'égard de votre protégé, je ne comprends pas la rage qu'il a de s'avilir par une grâce; le mot infâme de grâce n'est fait que pour les criminels. Le bien dont il peut hériter sera peu de chose, et certainement ses talents et sa sagesse suffiront dans votre service. Croyez, Sire, que V. M. n'aura guère un officier plus attaché à ses devoirs, ni d'ingénieur plus intelligent. Il a trouvé parmi mes paperasses quelques indications sur une de vos victoires; il en a fait un plan régulier; vous verrez par là, Sire, si ce jeune homme entend son métier, et s'il mérite votre protection.

Je le garderai, puisque V. M. le permet, jusqu'à ce qu'il soit entièrement perfectionné dans son art. Je ne l'oublierai point à ma mort; mais à l'égard de la grâce, je n'en veux pas plus que de la grâce de Molina et de Jansénius. Je n'avilirai jamais ainsi un de vos officiers, digne de vous servir. Si on veut lui signer une justification honorable, à la bonne heure. Tout le reste me paraît honteux.

Je mourrai avec ces sentiments, et surtout avec le regret de n'avoir pas achevé ma vie auprès du plus grand homme de l'Europe, que j'ose aimer autant qu'admirer.