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534. AU MÊME.

Potsdam, 5 décembre 1775.

Je vous ai mille obligations de la semence que vous avez bien voulu m'envoyer. Qui aurait dit que notre correspondance roulerait sur l'art de Triptolème, et qu'il s'agirait entre nous deux qui cultiverait le mieux son champ?a C'est cependant le premier des arts, et sans lequel il n'y aurait ni marchands, ni rois, ni courtisans, ni poëtes, ni philosophes. Il n'y a de vraies richesses que celles que la terre produit. Améliorer ses terres, défricher des champs incultes, saigner des marais, c'est faire des conquêtes sur la barbarie, et procurer de la subsistance à des colons qui, se trouvant en état de se marier, travaillent gaîment à perpétuer l'espèce, et augmentent le nombre des citoyens laborieux.

Nous avons imité ici les prairies artificielles des Anglais, ce qui réussit très-bien, et a fait augmenter nos bestiaux d'un tiers.a Leur charrue et leur semoir n'ont pas eu le même succès : la charrue,b parce qu'en partie nos terres sont trop légères; le semoir, parce qu'il est trop cher pour le peuple et pour les paysans.

En revanche, nous sommes parvenus à cultiver la rhubarbe dans nos jardins; elle conserve toutes ses propriétés, et ne diffère point, pour l'usage, de celle qu'on fait venir des pays orientaux.

Nous avons gagné,c cette année, dix mille livres de soie, et l'on a augmenté les ruches à miel d'un tiers.

Ce sont là les hochets de ma vieillesse,d et les plaisirs qu'un


a Et qu'il s'agirait de savoir qui de nous deux cultive le mieux son champ. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 306.)

a Nous avons imité ici les prés artificiels des Anglais, ce qui réussit très-bien, et par là nous avons augmenté les bestiaux d'un tiers. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 306 et 307.)

b Miss Chudleigh avait envoyé au Roi une charrue anglaise en 1772. Voyez t. XIII, p. 104.

c Nous avons recueilli. (Variante des Œuvres posthumes, t. IX, p. 307.)

d Voyez t. VI, p. 80; t. XIII, p. 11 et 96; et t. XIX, p. 144. Frédéric écrit à d'Alembert, le 24 mars 1765 : « Je vous dirai, comme Fontenelle, qu'il faut des hochets pour tout âge; » et au même, le 17 septembre 1772 : « Ce sont les hochets de ma vieillesse. »