<150>vous fais perdre par ma longue lettre un temps précieux que V. A. R. sait si utilement employer. Je connais, madame, votre indulgence et votre support; peut-être que j'en abuse; mais j'obtiendrai mon pardon en faveur du plaisir infini qu'il y a de s'éclairer à votre lumière, et en faveur des sentiments d'admiration et de la haute estime avec laquelle je suis, etc.

95. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 7 mars 1768.



Sire,

Votre Majesté me fait tort; je n'ai rien de commun avec les stoïciens, et leur sage n'est pas l'archétype de mon héros. Ce n'est point aux maîtres de la terre d'adopter une philosophie qui fait de l'insensibilité le principe des vertus; c'est encore moins à mon sexe de le prêcher. Quoi! je proposerais à V. M. de renoncer au sentiment, de renvoyer son Opéra et son Académie de belles-lettres! Celui de tous les rois qui sait le mieux allier les vertus sublimes du trône avec les talents aimables d'un particulier ne serait plus, par mes conseils, qu'un philosophe sauvage! Que diraient vos sujets et vos virtuosi de toute espèce? De grâce, Sire, ne me brouillez pas avec tant d'honnêtes gens, tandis que vous entretenez la paix avec tout le monde, jusqu'aux jésuites inclusivement. Rien de plus judicieux que le parti que V. M. prend à leur égard. Si l'on savait toujours assigner aux hommes la place qu'ils doivent tenir, et les empêcher d'en sortir, les divisions ne régneraient plus sur la terre; les jésuites ne songeraient qu'à enseigner le latin, et les citoyens de Genève ne voudraient plus empiéter sur l'autorité de leurs magistrats. Le genre humain y gagnerait sans contredit, mais les gazetiers y perdraient, et c'est toujours une espèce qui trouverait son malheur dans le bien général; tant il est vrai que les philosophes auront bien de