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147. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 30 mai 1771.



Sire,

Les bontés de Votre Majesté sont infinies, comme elles sont inestimables. Si la tête m'en tournait un peu, si je croyais en effet ma conservation aussi importante que vous voulez bien me le dire, ne serais-je pas excusable de m'en rapporter au témoignage de Frédéric? Au moins, Sire, vos conseils seront exactement suivis. Quand je n'aurais pas cet attachement pour la vie que V. M. souhaite de me voir, et avec lequel plus ou moins on naît partout ailleurs que sur les bords de la Tamise, je désirerais encore avec passion de vivre pour admirer le héros du siècle, pour entendre ses grandes actions, et jouir de ses bontés. Je n'irai que le plus tard possible entretenir les ombres de ce mortel incomparable, qui leur a envoyé si nombreuse compagnie pendant la guerre, et qui maintenant n'est ni moins appliqué ni moins heureux à diminuer le nombre de ceux qui, dans la grande règle, devraient aller les voir. Je me mets de ce nombre, Sire; les conseils que V. M. veut bien me donner me serviront encore plus de guide que l'avis de mes esculapes. J'emmène celui de mon frère et un des nôtres. Je me promets bien de ne pas me jouer avec les nymphes des eaux où je vais, avec celle de Spa surtout. Je sais qu'elle n'est pas d'un commerce bien sûr, et au surplus passablement maussade. L'avertissement de V. M. me met encore plus sur mes gardes, et je serai bien attentive aux effets des eaux avant d'oser m'y attacher. Si l'on pouvait compter sur la raison des nymphes, j'aurais lieu de présumer que celle de Spa me traiterait mieux qu'une autre, et qu'elle voudrait mériter l'honneur que V. M. lui destine, honneur qui n'est, de mon su, arrivé à aucune naïade depuis qu'il en existe dans l'imagination des poëtes. Il serait glorieux pour elle et encore plus pour moi; et quoi de plus touchant, Sire, que ce temple que vous destinez à l'amitié? Il me rappelle ceux que V. M. élève dans ses magni-