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194. A L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Potsdam, 16 janvier 1776.



Madame ma sœur,

Il ne suffirait que de l'intérêt obligeant que Votre Altesse Royale daigne prendre à l'existence du plus zélé de ses adorateurs, pour me rendre entièrement la santé. Déjà je commence à reprendre mes forces, et j'attribue ce miracle à la vertu de diva Antonia. Si cette lettre échappe à l'injure des temps, elle servira d'attestation aux grandes œuvres, madame, que vous avez opérées. Le jour de votre canonisation, l'avocat de ma sainte dira : Elle a fait des miracles si sûrs et si vrais, qu'ils ont été attestés par des hérétiques même. Mais je souhaite que V. A. R. diffère sa béatification le plus longtemps possible; nous avons trop besoin d'elle sur la terre, et le ciel ne la possédera que trop tôt.

Que pourrais-je mander d'ici à V. A. R.? Tandis que le carnaval va son train à Berlin, je vis ici en Père du désert; mais le bonheur passé me sert de supplément à celui dont je ne jouis pas actuellement. Je me rappelle avec une douce satisfaction qu'ici, dans cette chambre, j'ai été honoré de la visite de diva Antonia; je révère les endroits où elle a imprimé ses pas; ma mémoire fidèle me rappelle ses moindres paroles; je crois encore la voir et l'entendre; et je vis dans les temps passés, comme les dévots dans les temps à venir. Je trouve donc que, tout mûrement examiné, le plaisir dont je jouis dans ma solitude l'emporte sur celui dont la jeunesse frivole jouit dans le tourbillon du grand monde.

Mes vœux accompagneront V. A. R. dans son voyage de Deux-Ponts, où j'espère que madame sa fille, en mettant un prince au monde, lui donnera la satisfaction à laquelle vous avez, madame, tout lieu de vous attendre. J'ose ajouter, madame, que l'espérance de son prompt retour est un des endroits de sa lettre qui m'ont fait le plus de plaisir, parce que je ne renonce pas encore entièrement à la satisfaction de jouir de sa vue béatifique, et de la remercier de vive voix de toutes les bontés dont elle m'a