<298>rience, en faisant de nouvelles découvertes, s'est purgée de ses anciennes erreurs. Mais, quels que soient nos efforts, les premières causes seront probablement éternellement voilées à nos yeux. Nous manquons de pénétration; notre esprit n'a pas assez d'étendue, ni nos instruments assez de finesse, pour décomposer ou pour remonter aux premiers principes de la nature; et nos facultés bornées se trouvent sans cesse entre les abîmes de l'infini en petit et de l'infini en grand.a On peut, à toute force, se consoler d'ignorer ces secrets; les hommes peuvent jouir d'une portion de félicité dans ce monde, en se bornant aux choses qui sont à leur portée, et en remplissant les devoirs du pacte social.b

Si quelqu'un voyait ma lettre, il soupçonnerait avec raison qu'elle s'adresse à quelque docteur en philosophie; on serait fort étonné, si l'on savait que ces billevesées doivent être lues par une grande princesse, qui pourrait donner sur ce sujet des leçons profondes à ceux qu'elle daignerait instruire. Mais, madame, les princesses de votre genre sont si rares, que vous êtes peut-être la seule en Europe à laquelle, sans s'émanciper, on ose proposer ses opinions sans crainte de lui être à charge. C'est une raison de plus pour redoubler mes vœux au ciel pour la conservation de ce phénix que les siècles futurs envieront à mes contemporains. C'est avec ces sentiments et ceux de la plus haute considération que je suis à jamais, etc.

203. DE L'ÉLECTRICE MARIE-ANTONIE DE SAXE.

Dresde, 24 juin 1777.



Sire,

J'ai reçu la dernière lettre que Votre Majesté m'a fait l'honneur de m'écrire, comme je les reçois toutes; toujours plus extasiée


a Cette idée semble être le résumé de celles que Pascal expose dans ses Pensées, première partie, article IV, Connaissance générale de l'homme, I.

b Voyez t. IX, p. 224.