<394>condamné; je suis dans une espèce de purgatoire; mais le purgatoire, à ce que dit la Sorbonne, ne doit pas être éternel, et il faudra bien que le mien finisse.

On m'assure que V. M. se porte bien, qu'elle fait des choses admirables, qu'elle a reçu mon nouvel ouvrage, qu'elle en a paru contente. C'est là ma seule consolation; après le bonheur de voir V. M., celui que je désire le plus est de pouvoir mériter son suffrage et son estime.

Je ne connais de M. Lambert qu'un seul ouvrage, qui est bon, mais qui ne me paraît comparable à aucun de ceux de M. Euler; et si ce dernier est à genoux devant M. Lambert, comme V. M. me fait l'honneur de me l'écrire, il faudra dire de M. Euler ce qu'on a dit de La Fontaine, qu'il fut assez bête pour croire qu'Ésope et Phèdre avaient plus d'esprit que lui. Ce n'est pas que je prétende rien ôter au mérite de M. Lambert, qui doit être très-réel, puisque toute l'Académie en juge ainsi; mais il y a dans les sciences plus d'une place honorable, comme il y a, si on en croit l'Évangile, plusieurs demeures dans la maison du Père céleste;a et M. Lambert peut être très-digne d'occuper une de ces places. On assure d'ailleurs qu'il a fait plusieurs excellents ouvrages, qui ne me sont point parvenus. Je le trouverais encore assez bien partagé, quand il serait à M. Euler (pour parler mathématiquement) en même proportion que Des Cartes et Newton sont à Bayle, suivant V. M., ou que Bayle est à Des Cartes et Newton, selon un géomètre de votre connaissance, ou, pour employer une comparaison qui ne souffre point de contradicteurs, en même proportion que Marc-Aurèle et Gustave-Adolphe sont à un monarque que je n'ose nommer.

Je prends la liberté, Sire, de recommander de nouveau aux bontés de V. M. M. Thiébault, le professeur de grammaire que j'ai eu l'honneur de lui envoyer, et qui doit actuellement avoir reçu ses ordres. Elle aura sûrement lieu d'en être contente à tous égards. Je souhaiterais qu'elle le fût de même d'un ouvrage qu'elle recevra bientôt,b et dans lequel j'ai tâché de dire la vé-


a Evangile selon saint Jean, chap. XIV, v. 2.

b Sur la destruction des jésuites en France, par un auteur désintéressé. 1765, in-12.