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25. AU MÊME.

(Landeck) 20 août 1765.c

J'ai été fâché d'apprendre la mortification qu'on vient de vous faire essuyer, et l'injustice avec laquelle on vous a privé d'une pension qui vous revenait de droit. Je me suis flatté que vous seriez assez sensible à cet affront pour ne pas vous exposer à en souffrir d'autres. Nous autres militaires ne sommes pas gens à tendre l'autre joue quand on vient de nous frapper. Ce qu'on appelle honneur dans le monde est sans doute un préjugé; mais il est établi, et c'est par cette règle que l'on juge les actions des hommes. Je vous en dirais bien davantage, si je croyais vous persuader; toutes mes raisons viennent après coup, parce que je remarque que votre parti est pris, et que vous êtes décidé. Ne croyez pas cependant que vos raisons me paraissent aussi bonnes qu'au petit cercle de vos amis qui vous entoure à Paris. J'aime à ergoter contre les géomètres, pour expérimenter si, sans savoir kk plus b, on peut ne pas déraisonner.

Voici donc ce que je vous répondrais, si cette scène se passait en conversation : que depuis longtemps les climats sont considérés comme assez semblables, si on en excepte la ligne et le pôle; que ceux qui vivent dans la zone tempérée n'éprouvent qu'une légère différence de température de l'air. Il y a quelques lieux qui se distinguent, à la vérité, par un air malsain, comme Mantoue, Pesth en Hongrie, Ostende en Flandre; mais certainement l'air de Berlin n'a jamais passé pour malsain; il est même si favorable aux Français, que plusieurs réfugiés de cette nation sont morts après avoir passé quatre-vingt-dix ans, de sorte que le climat peut servir d'excuse honnête, mais non pas de raison. Votre second argument a quelque chose de plus plausible; il est dans l'ordre de la nature que je meure avant vous, et je ne puis pas vous garantir le contraire. Mais qui vous dit que je ne saurais mettre votre fortune à l'abri des caprices de la postérité? Cela se peut, et cela est très-faisable. Voilà ma réfutation; je la trouve victorieuse, je m'élève déjà un trophée pour avoir vaincu


c Voyez ci-dessus, p. 21.